Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les âmes et toutes les âmes lui répondent. L’étendue de leur domaine en égale la profondeur, et ce que Taine eût appelé la généralité de leur œuvre ne connaît pas de bornes. Ecoutez les Noces de Figaro, Don Juan et la Flûte enchantée, écoutez Fidelio. Chefs-d’œuvre de la musique, vous dit-on, mais non pas du théâtre. Répondez : chefs-d’œuvre de la musique, du théâtre et de bien plus encore ; chefs-d’œuvre de la vie, et de la vie universelle ; chefs-d’œuvre de la vérité, et de l’intégrale vérité. Ici le caractère individuel devient type, et la beauté particulière se dilate à l’infini. Par la voix de Leporello, surpris et menacé du bâton sous le manteau de son maître, ce n’est pas seulement le burlesque émoi d’un maraud, c’est la douleur, et toute douleur humaine, fût-ce la plus sérieuse, la plus noble, qui s’exhale en immortels sanglots. Dans le Voi che sapete, dans le duo de la Flûte enchantée, est-il un de nos amours qui ne chante ? Enfin, quand je ne sais quel critique a nommé Fidelio de ce beau nom : l’opéra de la délivrance, il avait sans doute, en des pages aussi vastes que le suprême finale, trouvé l’espoir et la promesse que nous aussi, nous tous, prisonniers trop longtemps de nos passions et de nos peines, nous en serons un jour à jamais affranchis. La généralité et l’infini de la représentation, le symbolisme enfin, au sens le plus clair et le plus large du mot, voilà ce qui manque trop souvent à notre musique française : à notre opéra-comique, nous l’avons montré naguère[1], et, — nous tâchons de le faire voir ici, — à notre grand opéra.

Trop souvent, disons-nous. Qu’on ne nous fasse pas dire toujours. Cette beauté, cette vertu supérieure au sujet particulier et au personnage individuel, mainte page de Meyerbeer ou de Rossini, fût-ce d’Auber (je pense à l’air du « Sommeil, » de la Muette) peut la contenir et la répandre. Dans une de ses Lettres d’un voyageur, à Meyerbeer, George Sand rapporte que, durant un des plus tristes hivers de sa vie, en proie à des crises de spleen et presque de désespoir, elle n’avait qu’à se faire jouer certaine modulation d’Alice au pied de la croix (troisième acte de Robert le Diable) et qu’elle en obtenait aussitôt la fin de son orage et le retour de son espérance.

On peut dans ce même Robert, — et nous l’avons essayé. —

  1. Voyez, dans la Revue du 1er septembre 1905, notre article intitulé : L’opéra-comique.