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est encore le drame en ceci, qu’il choisit pour matière l’action et le mouvement plutôt que la nature et le développement des caractères. Il porte plus d’intérêt aux événemens qu’aux sentimens. Il nous montre les personnages, non pas agissans, mais en quelque sorte agis. Il met en musique le dedans moins que le dehors, et les faits de préférence aux âmes.

Non point assurément qu’il ignore ou néglige celles-ci. Mais il ne les étudie, il ne les exprime, il ne les aime pas seules. Il ne les pénètre pas jusqu’au fond et ne les enveloppe pas tout entières. Un rien suffit à le détourner d’elles. Le premier incident venu, le moindre prétexte à chorégraphie ou à cortège distrait le musicien de notre grand opéra, pour ne pas dire qu’il l’amuse. Et pourquoi, — s’il arrive en effet que ce musicien s’amuse et rien de plus, — pourquoi ne le dirions-nous pas ? Voyez la manière surtout spirituelle, ironique même, dont un Auber a compris le sujet et le personnage principal de la Muette. Il y avait sans doute quelque chose de piquant, de plaisant, à la manière française, parisienne peut-être, dans le choix d’une muette pour l’héroïne d’un drame chanté. Le paradoxe ou la gageure a séduit le malicieux musicien. Il a soutenu le premier et gagné la seconde à sa façon, avec esprit et comme en se moquant.

Un maître plus sérieux, soit, par exemple, celui des Huguenots et du Prophète, qui fut musicien de plus d’une scène muette aussi, mais éloquente, aurait ici trouvé l’occasion d’une alliance originale, heureuse, entre le geste et la symphonie. Le rôle de Fenella pouvait unir alors à la grâce, à la poésie, un pathétique en quelque sorte mystérieux et voilé ; nous donner à penser, ou du moins à rêver, à pleurer peut-être. Avec Auber, il ne prête guère qu’à sourire. La sœur de Masaniello mime sur une musiquette puérilement imitative le récit de ses infortunes. Comme d’autres personnages d’opéra ne sont qu’un ténor, une basse, un soprano, celui-ci n’est qu’une danseuse. Quelque sentiment que Fenella veuille exprimer, elle ne le fait, ou l’orchestre pour elle, que par la musique la plus vive ; musique de danse, mais jamais, — si l’on peut dire, — d’attitude ou de physionomie. Son rôle n’est qu’agilité constante, éternelle volubilité. Son âme s’y révèle eu traits plaisamment ingénus. Dans la scène, — rapide comme toutes les autres, — de l’aveu, lorsqu’elle confesse à son frère que celui qui l’a séduite est trop au-dessus d’elle pour qu’elle puisse jamais prétendre à devenir sa femme, un petit motif de