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fait, à la fin du XIXe siècle, on voyait les catholiques occuper quarante et un sièges à la Chambre des lords et détenir toujours quelque portefeuille dans les ministères successifs ; on voyait les dignitaires du catholicisme anglais siéger à côté des prélats anglicans, la pourpre cardinalice obtenir une certaine préséance, et les deux convertis les plus illustres de l’Angleterre, Newman et Manning, conduits par de véritables cortèges nationaux à leur suprême lieu de repos.

Le siècle durant lequel les catholiques de Grande-Bretagne s’étaient abandonnés avec le plus de confiance aux inspirations romaines était en même temps le siècle durant lequel ils avaient pénétré dans la vie même de l’Angleterre, et s’étaient fait connaître et respecter comme des collaborateurs notoires de la grandeur nationale ; les néophytes auxquels Rome confiait les destinées de l’Eglise d’Angleterre rendaient cette Eglise, tout à la fois, de plus en plus romaine et de plus en plus anglaise ; et les 160 000 catholiques qui, dans l’Angleterre de 1815 ou de 1820, semblaient rougir de vivre et fuir la lumière, — gens lucifuga, disait un jour Newman, — faisaient place, vers la fin du siècle, à 1 500 000 catholiques, désormais forts de leur nombre même, et plus forts encore, peut-être, parce qu’ils se réclamaient, sans ambages, d’un état civil dressé à Rome, et parce qu’ils n’avaient nul scrupule à considérer la libre Angleterre comme librement ouverte à leurs libres énergies. Il était réservé au pays du No popery de montrer que l’idée catholique, interprétée par un Manning sous le regard d’un Léon XIII, n’isole point les hommes de la vie nationale et de la vaste besogne humaine ; qu’elle arrache les persécutés de la veille au rôle de boudeurs et de frondeurs ; qu’elle ne répugne pas à jeter ses adeptes dans le creuset des nations ; qu’entre elle et l’esprit civique l’alliance est naturelle ; et la renaissance catholique en Angleterre, au XIXe siècle, ne fut si somptueuse et si durable que parce qu’elle réintégra, dans l’esprit des catholiques eux-mêmes, la notion de leurs devoirs sociaux.


III

S’il est vrai qu’il soit mauvais, pour une religion qui veut agir, d’être servilement enclose dans le réseau des institutions d’Etat, on comprendra sans peine que, dans l’Angleterre du