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1588.] L’addition me semble d’autant plus significative qu’elle n’avait, en vérité, que faire, dans un chapitre où, ce qu’il s’agissait de montrer, c’est que « les extrêmes se touchent, » et on pouvait, je pense, en trouver un autre exemple, plus analogue à ceux qui le précèdent, lesquels sont tirés de l’extrême chaleur et de l’extrême froidure, qui toutes deux « cuisent et rôtissent, » ou « de la peur extrême et de l’extrême ardeur de courage » qui « troublent également le ventre et le lâchent. » J’incline donc à croire que, dans ce passage, Montaigne, — et quoiqu’il se mette lui-même parmi les « esprits du second rang, » — nous fait discrètement confidence des différens états que sa pensée a successivement traversés. S’il y a moins de renseignemens qu’on en voudrait dans les confidences que Montaigne nous donne comme telles , il y en a plus qu’on ne croirait dans maint passage où ce n’est pas de lui qu’il semble parler. Il a cru, tout d’abord, de ce qu’on appelle familièrement « la foi du charbonnier ; » puis, les doutes étant survenus et les difficultés s’étant élevées, son ironie, avec une vivacité qu’explique l’entraînement du bien dire, s’est exercée aux dépens de l’ « ignorance, » et de la « simplicité » des « bien croyans : » — il dira plus tard, entre 1588 et 1592, aux dépens de leur « niaiserie » et de leur « bêtise ; » et cette correction n^est-elle pas encore caractéristique ? — jusqu’à ce qu’enfin, après ses voyages d’Allemagne et d’Italie, après son séjour de Rome, après sa mairie de Bordeaux, après les épreuves que les guerres de religion ne lui ont pas épargnées, étant désormais d’esprit plus « rassis » et plus « clairvoyant, » ce qui veut bien dire ici voyant plus clair dans un sujet obscur, il ait décidé de ranger sa raison sous le sens du mystère et la nécessité du divin.


V

Ces indications, très sommaires et un peu vagues encore, se préciseront sans doute à mesure que paraîtront les volumes successifs de l’ « Édition municipale. » Car jusqu’à présent nous n’en avons que le premier, qui ne comprend, avec une courte et substantielle Introduction de M. Strowski, que le premier livre des Essais ; et elle en doit former quatre. Nous attendrons surtout avec quelque impatience le quatrième et dernier, dont on nous promet que les notes auront pour objet : « 1o de déterminer,