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Car, il y a bien quelques exceptions ; — il y a M. F. Strowski lui-même, dans une excellente étude qu’il vient de nous donner sur Montaigne, et il y a M. Edme Champion, dans sa substantielle Introduction aux « Essais » de Montaigne, — mais, d’une manière générale, en parlant de ces Essais, qui n’ont pas mis moins de vingt ans, 1 572-1592, à prendre aux mains de leur auteur, une forme qu’à peine peut-on considérer comme définitive ; — dont les trois éditions capitales, la première, celle de 1580 ; la cinquième, celle de 1588 ; et la sixième, celle de 1595, sont des ouvrages presque dififérens ; — et qui sont enfin séparées les unes des autres par des événemens aussi considérables que les voyages de Montaigne et sa mairie de Bordeaux, la critique française en a parlé comme de ces livres qui sortent, en quelque manière, tout armés, un beau matin, du cabinet de leur auteur : le Discours sur l’Histoire Universelle, ou La Recherche de la Vérité. De combien d’erreurs sur la signification des Essais, et sur le caractère de Montaigne, cette insouciance de la bibliographie et de la chronologie a été l’origine, on ne saurait le dire ! J’aime à rappeler, entre autres, quand les circonstances ranaèivent le sujet, les jolies phrases de Prévost-Paradol, dans ses Moralistes français, sur ce style, pour ainsi parlur, sans couture, où les citations des anciens faisaient tellement corps, disait-il, avec la pensée de Montaigne, qu’on ne pouvait les en séparer sans que cela fît, en vérité, comme une déchirure. Pour s’apercevoir cependant, que, s’il n’y a rien de plus joli que ces variations sur le style sans couture, il n’y a rien de moins juste, il suffisait de comparer entre elles nos trois éditions capitales, et de constater comment chacune d’elles s’enrichit, jusqu’à s’en alourdir, de « citations » qui trop souvent ne sont que des répétitions[1] ; qui plus souvent encore ne sont dues qu’au hasard des lectures de Montaigne, s’ajustent assez mal au texte ; et qui, non moins souvent enfin, impriment à sa page une fâcheuse allure de lourdeur et de pédantisme. Mais, au temps de Prévost-Paradol, ce sont là des considérations dans l’examen desquelles n’entrait pas la critique. Elle planait au-dessus ! Et, que le critique s’appelât Villemain ou Sainte-Beuve, Prévost-Paradol ou Vinet, son objet n’était que de faire briller son originalité personnelle au moven, et quelquefois, si besoin était, aux dépens de son auteur. Croyez

  1. On trouvera dans le livre de M. de Zangroniz, pages 94-99, l’indication d’un certain nombre de ces « répétitions » ou « redites. »