Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait compris un gouvernement qui aurait dit : — La Douma n’a pas réalisé vos espérances, nous le ferons à sa place ; nous donnerons sous une autre, forme des libertés au pays ; nous résoudrons la question agraire ; enfin, si nous avons pris une grande responsabilité, nous serons à la hauteur des obligations quelle nous impose ; nos actes en feront foi. — Mais le gouvernement n’a rien dit, ni rien fait. M. Stolypine s’est contenté de se prêter à l’interview avec une bonne grâce parfaite. La presse lui en a su gré. Toutefois, l’interview n’est qu’un mode de publicité et non pas une méthode de gouvernement. On est forcé de constater que beaucoup de temps a été perdu, qui aurait pu et aurait dû être mieux employé. Saura-t-on le rattraper ?

Nous le souhaitons plus que nous ne l’espérons. Aussi longtemps que la machine autocratique a fonctionné bien ou mal, mais normalement, les choses ont pu rester en l’état. Il y avait dans le pays de grandes souffrances dont on connaissait mal les causes : peut-être ne voulait-on pas, ou n’osait-on pas soulever le voile qui les cachait. Mais le jour est venu où l’autocratie elle-même a fait un aveu qui a eu, comme il devait l’avoir, un retentissement immense. Elle a reconnu qu’elle avait commis des fautes et qu’elle devait s’associer, pour gouverner, quelques élémens nouveaux. L’essai a été fait. Alors on s’est aperçu qu’il y avait moins d’esprit révolutionnaire qu’on ne l’avait cru, mais aussi moins d’esprit gouvernemental. Les pouvoirs anciens et nouveaux se sont mis à fonctionner les uns à côté des autres avec gaucherie et maladresse. Il a été bientôt évident que, dans ces conditions, la machine ne pouvait pas aller : elle faisait beaucoup de bruit et ne produisait rien. L’épreuve est à recommencer, et c’est bien ainsi que l’entend l’empereur Nicolas. Seulement, si on veut qu’elle réussisse, il importe de se rendre compte des motifs qui l’ont fait échouer une première fois, et nous avons apporté modestement notre contribution à cette recherche. Les révolutionnaires ont demandé au pouvoir autocrate, c’est-à-dire à l’Empereur, d’abdiquer au profit de la Douma, ce qui est purement insensé, d’abord parce qu’un pouvoir n’abdique jamais, ensuite parce que, dans le cas actuel, l’abdication pure et simple du tsarisme serait la plus folle des aventures. Le gouvernement d’une assemblée unique et souveraine est un des pires qui aient jamais existé, et vouloir l’introduire par improvisation dans un pays comme la Russie témoigne d’une inintelligence politique absolue. Si on veut que la révolution russe se fasse sans amener des réactions violentes, il faut opérer lentement et par des transactions réciproques. Ni l’ancienne Douma, ni l’ancien gouvernement, ne s’en