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à son expression et lui communique quelque chose de la diversité et de la vie même de la nature.

En dépit de ses incohérences et de ses pauvretés, l’art prétendu moderne affiche les plus étranges prétentions. Nous avons dit de quelle simplicité il se contente dans le choix des motifs de ses paysages. Ses ambitions, du reste, ne sont pas plus hautes dans la peinture de genre et l’on ne saurait s’intéresser beaucoup au personnel plus que suspect de créatures dégradées, déformées, qu’il nous montre dans les déshabillés les plus provocans et les poses les plus risquées, parmi les bars, les fêtes foraines, les bals publics et les lieux moins avouables encore où il se complaît. Jamais d’ailleurs on n’a autant parlé de la mission sociale de l’art et du rôle qu’il doit jouer dans l’éducation populaire. A moins que la laideur habituelle et les allures grossières de tout ce joli monde ne visent à en inspirer le dégoût, il est difficile de comprendre la satisfaction qu’on trouve et l’insistance qu’on met à nous infliger d’aussi plates turpitudes, à placer incessamment sous nos yeux, dans leur affligeante nudité, ces dames avachies qui vaquent aux soins les plus secrets de leur toilette. Nous pensons que, sans en contester la modernité, il n’y a pas lieu d’être fiers de pareilles trouvailles. Des critiques d’avant-garde, comme ils s’appellent, se sont faits les apôtres de ces doctrines équivoques et nous tiennent au courant de leurs merveilleuses découvertes. A grand renfort de néologismes, d’adjectifs rares et d’hyperboles fantaisistes, ils ne se lassent pas de nous annoncer chaque jour l’avènement de quelque maître ignoré, qu’un autre détrônera le lendemain. Jamais, à les en croire, aucune époque, aucune école n’aura vu une si abondante éclosion de chefs-d’œuvre et, depuis que le génie court ainsi les rues, il se trouve que les talens se font de plus en plus rares. Suivant eux, les admirations anciennes sont des superstitions qu’il faut secouer, et, comme pour les renier avec plus d’éclat, ils les remplacent par des fétiches, qui, une fois adoptés par l’opinion, deviennent sacrés et peuvent tout se permettre. Quoi qu’ils fassent, ceux-ci sont intangibles et leurs fantaisies les plus ridicules trouvent des panégyristes empressés. « Arrêtez-vous, leur crie-t-on de toutes parts, dès les premiers linéamens de chacune de leurs œuvres ; ne compromettez pas la sublimité de celle ébauche, la grâce irrésistible de ces indications sommaires ! » Et, vous le savez assez, ceux qu’on adjure ainsi n’ont garde de résister