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d’une grandeur ou d’une grâce qu’il n’aurait jamais soupçonnées ? Nous dirons plus : sans se priver des explorations qui peuvent le tenter, il convient que le paysagiste ait toujours, au milieu d’un pays de son choix, un lieu de retraite, pratiqué par lui depuis longtemps, où il aime à revenir. N’ayant plus à satisfaire cette curiosité inquiète qui J’agite en des localités nouvelles, il s’attachera à pénétrer le caractère intime de ce pays d’élection et, sans se disperser en aperçus sommaires, il en cherchera les traits expressifs, ceux qui font les images vivantes et durables et les gravent fortement dans le souvenir. Presque tous les maîtres ont agi ainsi et leurs noms sont inséparables de ceux des contrées qu’ils ont illustrées par leurs œuvres. C’est la campagne romaine pour Poussin et Claude ; Harlem et ses environs pour Ruisdaël, Dordrecht pour Cuyp, la vallée du Stour pour Constable, la forêt de Fontainebleau pour Rousseau et Millet, les bords de l’Oise pour Daubigny, etc. Avec le temps, tous ces maîtres s’étant de plus en plus attachés à ces lieux où ils ont vécu, en ont exprimé plus profondément le charme et la beauté souveraine. La diversité des procédés techniques employés par eux, — aquarelle, pastel, huile, plume et crayon, — leur fournissait d’ailleurs les moyens d’en étudier successivement tous les aspects. Chacun de ces procédés ayant sa valeur propre, il leur était possible de tirer de chacun d’eux un enseignement spécial. A côté des études méthodiquement suivies et poussées à fond, les simples croquis, les pochades rapidement enlevées ont aussi leur utilité puisque seules elles permettent de saisir au passage les effets les plus fugitifs. Pour ces effets mêmes, certains artistes, Delacroix et Corot, par exemple, avaient imaginé des modes de notation sommaires et tout à fait personnels, à l’aide de chiffres ou de signes conventionnels adoptés par eux.

Animée et fécondée par la diversité de ces travaux, la tâche du paysagiste est singulièrement attrayante. Ce serait une erreur de croire qu’elle n’a pas aussi ses dangers. Les heures les plus belles, celles du matin et du soir, sont souvent aussi les plus périlleuses. Pour aller trouver son motif, il faut parfois, sous le soleil, avec la charge de son attirail, parcourir d’assez longues distances, sur une route poussiéreuse et aveuglante. Installé sur un siège exigu, le paysagiste reste exposé à la chaleur du jour, aux averses imprévues, à toutes les moiteurs de l’atmosphère, au froid qui le pénètre et roidit à ce point ses doigts que,