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panégyristes les plus qualifiés s’extasier hautement sur ce qu’il prenait pour une avenue de peupliers éclairés par les derniers rayons du soleil, alors que, suivant l’indication formelle du catalogue, il s’agissait d’une enfilade de monumens et de tours échelonnés le long d’un fleuve. Si la peinture n’est pas seulement l’imitation, elle exige du moins un minimum de réalité tel que le spectateur ne soit pas exposé à de pareilles méprises. Remarquons, à ce propos, qu’il n’y a pas trop à s’étonner de la rareté des photographies faites d’après les tableaux de certains artistes cependant très réputés. L’insignifiance de ces reproductions, privées du charme de la couleur, est déconcertante, et leur aspect reste parfois si énigmatique qu’il est très positivement difficile de trouver le sens où il convient de les regarder. Ces aberrations d’ailleurs ne sont point particulières à la peinture : la musique, la poésie les ont également subies. Pensez à ces morceaux symphoniques ultra-modernes qui, réduits au piano et n’ayant plus le soutien du timbre varié des instrumens, montrent à nu la pauvreté, ou même l’absence totale des idées ; ou à ces vers de rythmes douteux dont il est impossible de découvrir le sens, tous les mots ayant une couleur, une sonorité, et même une saveur, mais n’ayant eux-mêmes aucune signification. Entre toutes ces débilités dont l’impuissance intransigeante égale les prétentions, il s’est fondé un syndicat d’admirations mutuelles, fondées sur de trop regrettables similitudes.

En ceci, comme en toutes choses, il y a une question de mesure. Corot nous a montré tout ce qu’un artiste tel que lui pouvait mettre de poésie jusque dans les motifs les plus humbles. La liberté du paysagiste demeure donc complète ; mais, après avoir secoué le joug de traditions qu’avaient consacrées les maîtres, il ne doit pas abdiquer son indépendance pour se conformer aveuglément aux bizarreries et aux vulgarités de la mode. Qu’il garde donc entière sa sincérité en face de la nature ; le domaine de celle-ci est infini et il y aura toujours des découvertes à y faire : si tout a déjà été dit, tout cependant reste encore à dire.

Que de fois le peintre a pu s’en convaincre lui-même dans les lieux qu’il croyait le mieux connaître ! Dans cette station d’étude dont il pensait avoir épuisé les ressources pittoresques, tel coin, où il était passé et repassé indifférent, ne lui apparaît-il pas, à certains jours, sous certaine lumière, transfiguré, paré