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galopade brutale d’une harde de sangliers brisant tout sur leur passage ; au coucher du soleil, les croassemens des corbeaux affairés autour des cimes des grands arbres, en quête d’un gîte pour la nuit ; au milieu du calme du soir, les sauvages bramemens du cerf appelant sa femelle. Après vous avoir patiemment observé, les animaux, même les plus soupçonneux, s’habituent à votre présence, ils sentent en vous un ami, et s’enhardissent autour de vous. Au bord de la rivière, la fauvette de roseaux, d’abord craintive, se décide à regagner sous vos yeux son joli nid, chef-d’œuvre de fragile et intelligente architecture, et le martin-pêcheur, étincelant comme une pierre précieuse, rase près de vous, avec un sifflet aigu, la nappe d’eau tranquille, happant au passage le petit poisson qui frétillait à la surface. Dans la haie à laquelle vous êtes adossé, le roitelet narquois rôde à portée de votre main, parmi le fouillis d’épines ; plus hardi encore et plus confiant, le rouge-gorge se campe en face de vous et vous interroge curieusement de son petit œil, brillant et malin. Pendant toute une après-midi d’été, dans les Vosges, un grand lézard vert plaqué contre un rocher, au-dessus de ma tête, étalait en plein soleil son corps d’émeraude, haletant, béat, comme enivré de chaleur.

Les retraites de la forêt recèlent, dans leurs profondeurs, des hôtes nombreux et variés que, bien posté, vous voyez défiler devant vous. C’est un honnête ménage d’écureuils, agiles et si légers qu’ils courbent à peine les branches les plus frêles : une faîne ou une noisette à la bouche, ils reviennent de la provision et tardivement surpris de vous apercevoir, vexé de votre présence, le couple vous gourmande avec des gloussemens de reproche et des gestes indignés. Parfois, au loin, des pas, des froissemens de branches mortes ou de feuilles sèches, se rapprochent peu à peu et vous entrevoyez à travers les taillis des formes rousses et mouvantes ; ne bougez pas ; retenez votre souffle et vous verrez apparaître quelque cerf qui vient de se désaltérer à la mare voisine ; ou une chevrette avec son faon, la mère toujours un peu anxieuse, ne vous quittant pas du regard, le petit gambadant étourdi, jusqu’à ce que, décidément mis en méfiance, tous deux par un brusque bondissement se dérobent à votre vue.

Sans doute, ces incidens sont bien menus et ceux qui ne regardent pas la nature n’en sauraient comprendre le charme. Mais voir ainsi dans leur vrai cadre et surprendre dans leurs