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Qui devaient à la longue altérer profondément la santé de l’artiste.

Par tous les moyens, on le voit, et sur tous les points de notre territoire, les paysagistes ont poursuivi l’étude pittoresque de la France. Malheureusement, à mesure qu’ils nous révélaient ses beautés, on commençait à les détruire. Le siècle dernier, qui les a mises en lumière, en aura aussi fait disparaître un grand nombre. Une exploitation plus complète de notre sol, les défrichemens de forêts, les desséchemens d’étangs, la régularisation des cours d’eau et l’utilisation de leurs chutes, l’établissement des voies ferrées, la création des grandes usines avec les bouleversemens de terrain et les amoncellemens de scories qu’elles amènent, une foule de causes enfin ont provoqué des transformations, parfois nécessaires, toujours funestes à l’aspect des lieux où elles se sont produites. Si un mouvement louable, mais un peu trop tardif, s’est prononcé récemment en faveur de la protection de nos vieux monumens et de nos paysages, c’est une preuve concluante des actes de vandalisme et des irréparables destructions que depuis longtemps les uns et les autres ont subis. Le goût même du pittoresque y avait contribué en quelque manière. Jamais on n’a aimé la nature d’une passion si violente ; jamais on n’a parlé d’elle avec des attendrissemens aussi verbeux. Le long de notre littoral, une suite ininterrompue de chalets et de villas se pressent pour se disputer la vue de la mer : peu à peu, au fond de nos vallées les plus écartées s’élèvent des constructions gigantesques, véritables casernes, insuffisantes cependant pour contenir les amateurs de beaux sites et sous prétexte d’un air plus pur, la foule grossissante des anémiés apporte, jusque sur les cimes les plus élevées de nos montagnes, une ardeur de plaisirs et de sports variés, bien faite pour développer encore leur neurasthénie.

Cependant, malgré tant de bouleversemens et de ruines, en cherchant bien, le paysagiste peut encore trouver des coins tranquilles et des beautés naturelles intactes. Mais quand il les a découverts, il doit se hâter d’en jouir, car d’amères déceptions attendent celui qui, sur la foi d’anciens souvenirs, revient dans des stations dont il a déjà goûté le charme : des arbres séculaires ont été abattus, des terrains éventrés, des maisons bâties, aux endroits mêmes où il comptait planter son chevalet. Un hôtel modern-style, où vous n’êtes plus qu’un numéro, a remplacé