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nettement marqué, sont devenues de véritables lieux d’élection, consacrés par les œuvres qu’elles ont inspirées : la Normandie, les Landes, l’Auvergne, la Bretagne, la Provence et le Dauphiné. Entre toutes, la forêt de Fontainebleau est restée la plus célèbre dans l’histoire du paysage moderne. A portée de Paris, avec la diversité de ses aspects et la parure respectée de ses arbres archi-séculaires, elle était encore presque ignorée quand Rousseau vint s’établir à Barbizon, d’abord dans la modeste auberge où il prenait gîte pour un prix minime, encore trop élevé pour sa bourse. Dès qu’il l’avait pu, il la quittait pour louer une chaumière et, à peu de frais, il s’y faisait approprier un atelier. Il était libre de vivre à sa guise, dans une étroite intimité avec la nature. Parti dès le matin avec le pochon qui contenait son frugal repas, il passait ses journées entières dans la grande forêt et ne rentrait qu’à nuit close en son pauvre logis. A l’exemple de Rousseau, attirés par lui, d’autres artistes se fixaient dans les villages placés sur la lisière de la forêt. L’un d’eux même, atteint de misanthropie, obtenait de l’administration forestière la permission de se construire, dans une de ses solitudes les plus retirées, une cabane, aujourd’hui effondrée, qui, à raison de la sauvagerie du lieu, avait reçu le nom de Hutte aux Loups. D’autres paysagistes désireux de varier leurs stations d’étude, ont imaginé de vivre dans des voitures, sortes de roulottes imitées de celles des forains, pour se faire transporter au cœur de pays de leur choix et y vivre à leur gré. Mais le plus souvent ils ont dû renoncer à ces installations, à cause des embarras que leur causaient la nécessité de s’approvisionner et les soins à donner au cheval qui les traînait.

L’attrait que l’eau avait pour Daubigny était tel que, non content des stations d’étude faites par lui sur le bord des rivières et des étangs, il se décidait, âgé de plus de quarante ans, à réaliser le rêve, caressé depuis sa jeunesse, de s’établir sur un bateau aménagé en atelier flottant, le Botin, dont il a retracé les pérégrinations et les aventures dans une série de croquis à l’eau-forte. Avec la possibilité de conduire et d’amarrer son bateau aux bons endroits et d’aborder ainsi une série de motifs autrement inaccessibles, l’artiste avait de plus rentière latitude de peindre par tous les temps, abrité du soleil, de la pluie et du vent. Mais avec ses séductions irrésistibles, cette vie lacustre entraînait avec elle des dangers certains de fièvres et de maladies