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promenades au clair de lune, ses allées et venues de chaque côté de la frontière provoquent la méfiance des douaniers et il est trop heureux de trouver un de ses compatriotes dans un sous-préfet du voisinage qui le fait relâcher. Pendant ses premiers séjours en Bretagne, Camille Bernier, qui devait plus tard être si aimé dans tout le pays, sentait attachés sur lui, pendant qu’il travaillait dans la campagne, les regards inquiets des paysans qui l’épiaient, embusqués derrière les haies et les buissons voisins. Quelques années après la guerre de 1870, un autre de mes amis, Henri Zuber, peignant une aquarelle en face des vieilles fortifications d’Antibes, aujourd’hui démolies, se vit arrêté sous la prévention d’espionnage, et comme il avait par hasard sur lui, ce jour-là, une dizaine de papiers constatant son identité, — passeport, cartes d’électeur et d’exposant au Salon, lettres à lui adressées, etc., — le gendarme, qui l’avait appréhendé, lui faisait très judicieusement observer qu’un malfaiteur seul pouvait être aussi abondamment pourvu de pièces pareilles. Il dut passer la nuit en prison et ce n’est que le lendemain matin qu’un télégramme venu de Paris ordonnait sa mise en liberté.

Les questions bizarres posées aux paysagistes et les suppositions que provoque leur travail témoignent assez des dispositions qu’excite encore aujourd’hui leur présence dans des pays restés un peu arriérés où ils sont pris tour à tour pour des agens du fisc, des géomètres attachés au cadastre, des ingénieurs chargés de l’établissement d’une route, du curage d’une rivière, etc., opérations qui pour les campagnards se traduisent toutes par des augmentations d’impôts, des taxes ou des réglementations nouvelles. Le nombre croissant des artistes et la facilité de plus en plus grande des communications a profondément modifié un pareil état de choses. Dans la France désormais mieux connue, les habitans de nos provinces les plus reculées se sont habitués à la venue des hôtes de toute sorte qu’attirent leurs beautés. Il n’est même pas rare que le paysagiste dans des coins qu’il croit encore peu connus, en quête de motifs qu’il voudrait inédits, soit accueilli par le propos décourageant de l’indigène qui, avec l’idée de l’aider dans sa recherche, lui montre la place où se sont assis ses devanciers, en lui disant : « C’est là qu’ils se mettent tous ! »

Parmi tant de contrées pittoresques offertes aux études de nos peintres, il en est qui, à raison de leur caractère plus