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pouvoir les terminer suffisamment. » Mais, épris comme il l’est de toutes les beautés de la campagne, dans son cher pays d’East Bergholt, tout l’intéresse ; il en admire les eaux, les buissons et les moindres fleurs, avec l’ingénuité d’un enfant. Il professe pour les vieux arbres un véritable culte ; il les connaît tous, il parle d’eux avec tendresse, il déplore leur perte comme celle d’êtres auxquels il est profondément attaché. Dans la vénération qu’ils lui inspirent, il voudrait en reproduire les formes comme les couleurs, avec la plus scrupuleuse exactitude. Pour la première fois depuis les primitifs, on voit chez lui réapparaître la diversité et la fraîcheur de ces verdures que les Hollandais avaient répudiées. Elles l’attirent, au contraire, et il recherche les lieux où les prairies et les plantes ont le plus de vivacité et d’éclat : les berges des ruisseaux, les abords des écluses et des moulins. Il s’oublie dans de longues séances de travail solitaire, et, transporté par le charme souverain du printemps, il découvre partout présens « l’esprit et la main de Dieu. » Son admiration s’exhale en invocations et en prières, et comme il l’écrit à sa femme : « Il semble que tout fleurit et s’épanouit dans la campagne ! À chaque pas, de quelque côté que je regarde, je crois entendre murmurer près de moi ces paroles sublimes de l’Écriture : Je suis la Résurrection et la Vie ! »


III

Presque en même temps que Constable et avec une sincérité pareille, notre école moderne de paysage trouvait sa voie dans une étude assidue de la nature. Même en pleine période académique, cette étude n’avait jamais été entièrement délaissée. Les croquis rapides faits par Watteau dans la campagne, aussi bien que les fonds de ses scènes galantes, attestent chez lui, à la fois une imagination très fantaisiste et une observation pénétrante de la nature. Après lui, Oudry, échappant quand il le peut aux devoirs de ses charges officielles, trouve de temps à autre le loisir de faire dans les jardins des environs de Paris, à Arcueil, à Meudon, à Saint-Germain, des dessins aussi remarquables par leur exactitude que par leur élégante facilité. En regard des trop nombreuses compositions dans lesquelles Joseph Vernet cède à la sentimentalité déclamatoire en vogue à cette époque, des peintures comme le Château Saint-Ange et le Ponte Rotto,