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Mais qu’ils devinent ou qu’ils soupçonnent vaguement à quel travail se livre le paysagiste, les paysans considèrent ce travail comme absolument inutile. Ils ne sauraient imaginer qu’un tel ouvrage sera peut-être acheté un gros prix et qu’un coin de d’une stérile, peint par Ruisdaël, sous le ciel gris, puisse se vendre dix fois, cent fois plus cher que de beaux sillons de blé étalant au soleil leur moisson dorée. Ils admirent la patience, le soin que l’artiste met à une tâche dont ils renoncent à comprendre l’intérêt. Si, de hasard, ils apprenaient qu’une part quelconque des revenus de l’Etat, c’est-à-dire des contributions qui leur sont imposées, pût être employée à de pareilles superfluités, ils n’auraient pas assez de colère pour condamner de telles dépenses, alors que leur vie est si étroite et l’argent qu’ils donnent au fisc si dur à gagner.

Mais ce n’est pas le paysan seul qui a peine à concevoir qu’un homme sensé et bien portant emploie son intelligence et son temps à des besognes dont il ne peut comprendre le but. Quand on entend Pascal s’écrier : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire pas les originaux ! » quand on sait qu’un des plus grands maîtres, Michel-Ange lui-même, a parlé avec le plus profond mépris de l’école flamande, qui « se contente de peindre des masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières et des ponts, ce qu’on appelle des Paysages, avec beaucoup de figures par-ci, par-là, quoique cela fasse un bon effet à certains yeux, en vérité, il n’y a là ni raison, ni art ; point de proportions, point de symétrie, nul soin dans le choix, nulle grandeur ! » on reste frappé de la diversité des impressions que cause aux esprits, même les plus ouverts, la représentation pittoresque de la nature. À ce titre, l’histoire de la peinture de paysage et de ses procédés d’étude nous donnera peut-être quelque lumière sur les sentimens qui ont amené son apparition et nous apprendra du moins suivant quelles conditions elle s’est développée dans les divers milieux où ce genre a jeté quelque éclat. En constatant la vogue qui la depuis longtemps accueillie et dont elle jouit encore aujourd’hui, nous essaierons d’en indiquer les causes et de montrer aussi quelles pures jouissances l’étude de la nature procure aux paysagistes. De cette histoire, en tout cas, ressortent quelques considérations d’un ordre général que nous tâcherons de dégager.