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Telles sont mes nuits dans cette ville française, fière de son antique civilisation, où se voit la statue de Dupleix porteur d’une épée qu’il ne tira jamais du fourreau. Ville française que la charité ou la dérision de l’étranger a laissée vivre sur cette plage morte, ville de progrès, où le suffrage universel bat son plein. Les Hindous politiciens méditent quelque coup de leur façon au gouverneur, et prennent conseil de la nuit, cependant que les cobras et les mangoustes rampent et trottent, se faisant la guerre par les rues et les jardins, et que les rats perchais continuent leurs luttes fratricides en se provoquant à grands cris, pareils aux héros d’Homère, dans les magasins à riz du quai.

Si je m’endors enfin, tant la fatigue peut faire oublier de choses, c’est pour être réveillé au petit jour par mon ami le capitaine Fouquet, l’officier d’ordonnance du gouverneur et mon fidèle compagnon d’excursions. L’amour de l’entomologie le précipite dans l’antre de Soupou avant que l’aurore ait rougi l’horizon. Il s’agit d’aller chercher des cicindèles à Chounambar, des longicornes à Ariancoupan, des Mastax et autres carabides dans les marais des deux jardins coloniaux. La bienveillance inlassable du gouverneur, M. Rodier, met à notre disposition sa voiture même et ses chevaux. Ainsi pouvons-nous pendant quelques heures récolter utilement dans les environs de Pondichéry, pousser jusqu’au Grand Étang, plus loin encore.

Nous avons fait à Chounambar plus d’une trouvaille intéressante, entre autres celle du Schizocephala bicornis Linn. C’est une grande mante grêle, aussi allongée qu’un phasme, et qui change de couleur, suivant que les roseaux sur lesquels elle se tient sont frais ou secs. Vert sur les premiers, le curieux orthoptère est d’un jaune grisâtre sur les seconds. La belle Cicindela quadrilineata Fab. voltige sur les bancs de sable, jusqu’au milieu de la rivière, et c’est un exercice assez pénible que de l’y pourchasser, tandis que la vulgaire Cicindela catena F. se prend facilement dans les champs, où elle vole à la manière de notre cicindèle champêtre. Sur les cotonniers nous récoltons un joli bupreste bronzé (Sphenoptera gossypii), et sur les mimosas un autre bupreste vert doré beaucoup plus grand, le Sternocera sternicornis. C’est avec les élytres de ce beau coléoptère, répandu dans l’Inde entière, que les brodeurs garnissent leurs ouvrages. Ils fixent à l’aiguille ces élytres éclatantes sur le drap, la soie, la