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l’on suppute les intérêts au taux le plus modique, elle doit aujourd’hui quelque chose comme une dizaine de millions ù ce petit vieux qui a le droit de porter la canne à pomme d’or que lui léguèrent ses ancêtres. C’est pour cette distinction honorifique que l’antique Ramalinga se ruina, lui et ses descendans.

A vrai dire, je crois que les millions de la France ne leur auraient guère profité. Si je m’en rapporte à l’invitation de Sandirapoullé, je crains que ce vieillard, « Président de la Société Théosophique de Pondichéry, dont le siège est à Madras, » ne vive dans la peau d’un prodigue. La bayadère de Tanjore ne danse pas à moins de quatre mille francs la séance, si j’en crois les gens bien informés. Son seul cachet engage donc les finances de Sandirapoullé pour une année entière. Qu’il en aille ainsi du reste, et vous voyez vers quelle faillite s’achemine le porteur de la canne à pomme d’or. J’ai cependant promis aux fils de Sandirapoullé de rappeler leur affaire au Ministre. Sans engager le résultat, je m’acquitterai certainement de leur commission dès mon retour à Paris[1].


Pondichéry, 3 juillet 1901.

Sandirapoullé m’a outrageusement trompé. Ce n’est point la renommée bayadère de Tanjore que j’ai vue danser chez lui, mais les petites de la pagode de Villenour. Malgré la présence de Soupou, que sa qualité d’homme du monde condamne à être de toutes les fêtes, nous nous sommes enfuis, Paul Mimande et moi, simulant un mal de tête aussi violent que subit. La femme de Sandirapoullé, belle et jeune Indienne qui pourrait être son arrière-petite-fille, ses deux fils, nous ont en vain retenus. Nous courons encore. Notre regret a d’ailleurs été doublé, car, la veille même, nous avions pu assister au magnifique spectacle de la grande danseuse de Tanjore, chez l’administrateur de la pagode de Villenour.

Gonguilam Sandiramourty, en effet, continue de marier le petit couple que j’avais vu s’avancer en palanquin, il y a plus d’un mois, dans la splendeur des feux de Bengale. La soirée de danse à laquelle nous fûmes conviés continuait la série des

  1. J’ai en effet porté la réclamation de ces Messieurs au ministre des Colonies dès le commencement de l’année 1902. Mais Sandirapoullé est mort en 1903 sans avoir obtenu satisfaction.