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premières heures du matin et, par les promesses les plus flatteuses, il le décida à ravitailler le corps assiégeant. Ramalinga ne perdit pas un instant. Bien qu’une distance de quatre lieues séparât le fort Saint-David de Pondichéry, avant midi les troupes françaises pouvaient faire un repas suffisant. Pour reconnaître ce service, Lally nomma, le jour même, Ramalinga Aroumbatté, c’est-à-dire fournisseur en chef des armées françaises. C’était là une charge plutôt onéreuse, car la Compagnie était dans l’impossibilité matérielle de solder un seul de ses créanciers. La confiance traditionnelle des Hindous envers la Compagnie, dont la sage administration et l’honnêteté des Martin et des Dumas fonda le crédit, avait été trop rudement ébranlée par les dilapidations de Dupleix et les malversations de ses successeurs pour que le malheureux Lally pût en attendre quoi que ce fût. Le dévouement de Ramalinga fut donc une exception, et sa conduite ne saurait être assez louée.

Je n’irai pas jusqu’à vous dire que ce fournisseur modèle n’ait point demandé de garanties. Pour se couvrir d’avances dont l’importance allait toujours s’augmentant, Ramalinga reçut à fermetés revenus des provinces. Mais il dut encore avancer à la Compagnie des Indes cinquante mille roupies sur le prix de l’ancienne ferme dont les tenanciers déchus n’avaient point acquitté les arrérages. On exigea de lui d’autres versemens encore plus considérables. L’argent devait à cette époque être terriblement commun dans l’Inde ! En 1760, la créance de Ramalinga s’élevait à trois millions de roupies, soit un peu plus de sept millions de francs. Si l’on calcule que l’intérêt moyen était alors de dix-huit pour cent, on est effrayé par le chiffre que devait atteindre la dette au bout de quelques années.

Jamais les affaires de la France en Inde n’avaient été plus mauvaises, et Ramalinga nous demeurait obstinément fidèle. Ambassadeur de la Compagnie auprès des Mahrattes, il réussit, en cette même année 1760, à conclure avec leur chef Morari Rao un traité assez avantageux. Il continua d’entretenir à ses frais le gros de cavalerie dont il était propriétaire commandant, sans qu’on lui en payât la solde. Et cette fidélité est d’autant plus admirable que nos ennemis faisaient à Ramalinga les propositions les plus avantageuses, s’il consentait à abandonner notre cause et à passer aux Anglais avec ses troupes et son argent.