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I

Un brave chevalier, un écuyer bien monté, se payaient jadis le même prix qu’un chef de bureau d’aujourd’hui dans un ministère. Les traitemens civils, attachés aux emplois de finance, de police et des autres branches d’administration, ont suivi dans les temps modernes une marche inverse à celle des soldes militaires. Celles-ci ont baissé, ceux-là ont monté.

Si les premières ont baissé, ce n’est pas que l’effectif des armées ait diminué. Dans notre siècle pacifique il y a beaucoup plus d’hommes d’armes que naguère ; seulement ils ne sont point belliqueux. Il leur est défendu de l’être. Il y a plus d’épées, mais elles ne sortent pas du fourreau et n’ont d’ailleurs nulle envie d’en sortir. Ceux qui les portent, comme simples soldats, sont des civils habillés pour un temps en militaires ; servant par force et non par goût ; non dans l’espoir d’un gain personnel, mais en vue de l’intérêt national. Leurs chefs sont des professeurs de guerre, auxquels la civilisation commande d’aimer la paix et qui, par une abnégation patriotique, doivent se résigner à ne jouer jamais la pièce qu’ils apprennent et répètent toujours.

Les éducateurs civils, eux aussi, ont augmenté en nombre : il y a, dans notre république, trois fois plus de maîtres d’école que de sergens. Et, comme on n’a pas songé à enrôler, de par la loi, des fonctionnaires pour la paix, comme des soldats pour la guerre, les plus humbles préposés aux organismes multiples et compliqués de l’Etat contemporain sont des serviteurs volontaires. Le taux de leurs appointemens a été fixé, en apparence par le pouvoir politique, en réalité par les influences économiques que chacun subit, sans s’en douter.

Il peut paraître, au premier abord, téméraire d’avancer que le prix d’un ambassadeur ou d’un receveur d’octroi, d’un trésorier général ou d’un garde des eaux et forêts, se détermine suivant les mêmes règles mystérieuses que le prix d’un chapeau, d’une douzaine d’œufs ou d’un cheval ; mais c’est la pure vérité. Le tarif des capacités humaines, à travers les âges et les continens, n’a pas évidemment la régularité mathématique du cours des denrées d’après leur prix de revient. Et, parmi les capacités humaines, il semble plus facile de trouver une base uniforme