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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

adeptes des traditions hermétiques, que la sagesse et le pouvoir sont voués au secret. Les Kymris, comme les Celtes, paraissent avoir eu cette idée et l’avoir portée avec eux. Dans bien des cas, c’est l’un des caractères de la puissance magique d’être perdue ou diminuée dès qu’elle est connue. Ainsi les fées les plus divines et les enchanteurs les plus puissans se cachent toujours, dans les traditions populaires du Nord ou de l’Occident, sous des dehors modestes, et même pauvres ou ridicules.

Quant à la touffe de lin naissant du crâne mort, on peut y voir, soit l’idée de la permanence de la force vitale, soit l’idée de la récompense indirecte des bonnes actions dans un autre cycle. La théorie de la métempsycose a laissé là ses traces, comme elle l’a fait dans les traditions primitives de tant d’autres peuples. Les commentateurs peu connus et taxés de fantaisie, qui ont fait, sans en être bien persuadés eux-mêmes, des dissertations hypothétiques sur les traces du brahmanisme et du bouddhisme chez les Scandinaves, ont peut-être eu raison.

Voilà bien du pédantisme, à propos d’un simple conte.

Mais il nous a paru intéressant de recueillir et de présenter aux Occidentaux cette petite Wassilissa, pendant que l’industrie n’a pas encore envahi et transformé son pays, en y traînant à sa suite, avec une population nouvelle, ses inconvéniens habituels, et tandis que de grands travaux publics, — admirables du reste, — n’ont pas encore percé à jour et rendu inhabitable pour les légendes une région qui constitue l’un de leurs derniers asiles en Europe[1].

En attendant, là-bas, tout au nord du Vieux Continent, dans les toundras, sur les granités ruisselans et pauvres où poussent à l’aise les mousses et les myrtilles sous l’abri précaire de l’ancienne forêt arctique, et où les rares et maigres cultures, arrachées par places à la virginité rebelle du sol, ne sont que de petites taches éparses, là l’économie politique, avec ses lois

  1. Ce pays, situé au nord de la région Ouralienne, partie en Europe, partie en Asie, entre la Finlande, la Sibérie, l’océan Glacial et le Nord-Est de l’ancienne Moscovie, s’appelait autrefois, avons-nous dit au commencement de cet article, le pays des Tchoudes. Le mot tchoudi signifie à la fois, en russe, prodige et sorcier. Cette dénomination, appliquée aux habitans de la contrée dont il s’agit, peut avoir eu pour cause leur religion fétichiste. À l’époque des guerres contre la République de Novgorod et contre les États Slaves, qui mirent fin ù son existence indépendante, ce pays était gouverné par des Rois sorciers, descendans, peut-être, de Wassilissa. Les guerres dites des Sorciers se placent, dans les anciennes annales russes, entre le VIIe et le XIIe siècle.