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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

Ses épaules étaient couvertes d’un manteau noir, sous lequel, par intervalles, brillait discrètement l’éclair froid de ses armes.

Et devant lui les oiseaux se taisaient, et les petites fleurs se refermaient, et les couleurs du feuillage s’éteignaient. Seul, un harfang, la grande chouette du Nord, le suivait, volant silencieusement dans l’air, de ses ailes ouatées, et semblant l’annoncer, de loin en loin, par son cri sinistre.

Et sur les pas du cheval sortaient de terre les cryptogames mystérieux et les champignons phosphorescens. Et les lichens, sur les troncs et sur les rochers, élargissaient leurs disques, les fougères et les lycopodes déployaient leurs éventails, et les mousses sourdes foisonnaient. Et les limaces, sortant de leurs trous, rampaient, en laissant sur les aiguilles des pins une large trace argentée.

Ce cavalier dépassa Wassilissa. Quand il arriva près de la porte de l’enclos de la sorcière, il disparut, comme s’il s’était abîmé sous terre.

Et il faisait nuit.

Wassilissa remarqua alors que les yeux des crânes placés sur la haie devenaient lumineux et projetaient par leurs orbites des gerbes de clarté aux alentours. Il en était de même de toutes les têtes de morts qui se trouvaient dans le jardin.

Tout à coup un grand bruit dans la forêt annonça l’arrivée de la Baba-Yagha. Les arbres craquaient en se courbant, les feuilles tourbillonnaient comme au passage d’un ouragan. Et un grondement sourd faisait résonner les échos des ravins au fond des bois. Et la Baba-Yagha parut, faisant plier les cimes des arbres. Elle était assise dans un mortier, selon l’usage des sorcières ; elle le faisait avancer d’une main avec son pilon, et de l’autre, elle effaçait dans l’air, à l’aide de son balai, fait d’un arbre entier, la trace de son passage, trace invisible aux yeux humains.

Elle était gigantesque. Sa peau ridée et grisâtre formait de larges plis, et ses cheveux gris tombaient en désordre sur ses épaules. Elle mit pied à terre dans la clairière auprès de sa demeure.

Wassilissa s’approcha et la salua.

— Que viens-tu faire ici, petite Wassilissa ? lui demanda la sorcière.

— Grand’mère (Babouchka), se sont mes sœurs et ma belle-mère qui m’ont envoyée vers toi pour te demander du feu.