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jeunes filles n’étaient éclairées que par une seule chandelle. À un certain moment, comme la chandelle coulait, l’aînée des sœurs prit des ciseaux pour la moucher, et, conformément à ce qui avait été convenu avec sa mère, elle l’éteignit.

— Qui nous donnera maintenant du feu ? dit-elle. Tous les gens du village sont couchés. Il faut que l’une de nous aille en chercher dans la maison de la sorcière.

— C’est indispensable, dit la seconde. Ce n’est que là qu’il sera possible de trouver du feu à pareille heure. Mais qui de nous ira ?

— Les têtes de mes épingles m’éclairent, reprit l’aînée. Je n’ai pas besoin de lumière pour continuer mon ouvrage.

— La lueur de mes aiguilles me suffit, répliqua la seconde sœur. Il faut que ce soit Wassilissa qui aille chez la sorcière.

Sans lui demander son avis, les deux sœurs poussèrent Wassilissa hors de la chambre et fermèrent la porte, en lui mettant dans la main un morceau de pain noir et sec.

Wassilissa monta dans la petite chambre qu’elle occupait sous le toit. Quand elle eut fermé la porte, elle tira la poupée de sa poche et ne put s’empêcher de pleurer. Pourtant elle plaça devant la poupée le morceau de pain qui constituait son unique provision, et lui dit :

— Mange, petite poupée, et vois ma peine.

La poupée mangea. Et, comme toujours, à mesure qu’elle mangeait, ses yeux se mirent à briller. Et, quand elle eut mangé tout le pain, elle avait tout à fait l’air d’une personne vivante. Elle se mit alors à parler, et dit :

— Va chez la sorcière, Wassilissa, et ne crains rien.

Wassilissa sécha ses larmes, mit la poupée dans sa poche et sortit dans la nuit noire. Elle gagna la forêt et prit au hasard le premier sentier qui s’y enfonçait.

Wassilissa marcha toute la nuit. Au bout de six ou sept heures de marche, elle vit, entre les branches, passer, non loin d’elle, un cavalier.

Ce cavalier était vêtu de blanc. Il était jeune, et son visage était charmant. Il montait un cheval blanc, qui marchait joyeusement, d’un pas léger, en faisant bruire les feuilles et en humant l’air des bois. Son armure était blanche et semblait d’argent, et son harnais était également blanc.

Sur son passage, la forêt s’éclairait d’une lueur argentée, et des reflets roses et violets se plaquaient au tronc des bouleaux