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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

jardin étaient sarclées, les légumes arrosés, le poêle allumé. Pendant que la poupée travaillait, Wassilissa se reposait à l’ombre en cueillant des fleurs.

La poupée indiquait à Wassilissa l’herbe contre le hâle. Aussi devenait-elle chaque jour plus jolie et plus blanche, tandis que, de rage, la belle-mère et ses filles devenaient chaque jour plus maigres et plus noires.

Wassilissa vint en âge d’être mariée. Tous les garçons du village demandaient sa main. Mais la belle-mère déclarait à tous qu’elle ne marierait pas Wassilissa avant les deux aînées. Puis, quand les voisins étaient loin, elle et ses filles battaient Wassilissa pour se venger. Wassilissa supportait tout sans se plaindre, car elle était douce et bonne. Et elle devenait, malgré tout, chaque jour plus belle. Quand elle était seule, elle tirait la poupée de sa poche, partageait avec elle la maigre pitance qu’on lui donnait, et elle disait :

— Mange, petite poupée, et vois mon chagrin.

Et la poupée mangeait, puis s’animait et la consolait.

Le marchand partit pour un long voyage. Pendant son absence, sa femme changea de domicile : elle alla demeurer dans une maison isolée, située au bout du village, et qui était voisine d’une grande forêt.

Au milieu de cette forêt demeurait, disait-on, une sorcière, une Baba-Yagha, qui ne laissait approcher personne et mangeait les hommes comme des poulets.

Bien des gens, étant allés dans la forêt afin d’y chercher du bois ou d’y tendre des pièges au gibier, l’avaient rencontrée, et quelques-uns d’entre eux seulement avaient pu revenir pour faire connaître le sort de leurs camarades. D’autres, qui, égarés dans la forêt, ou étrangers à la contrée, s’étaient approchés sans le savoir de la clairière où habitait la Baba-Yagha, avaient été saisis par elle et dévorés. Quelques-uns même, plus braves, résolus à en finir et se croyant possesseurs de secrets magiques, avaient essayé d’en débarrasser le pays, et étaient allés volontairement à sa recherche, soit seuls, soit en troupe. Mais aucun d’eux n’était revenu.

Un soir d’été, la belle-mère s’absenta et les trois jeunes filles restèrent seules à la maison. L’aînée faisait de la dentelle, la seconde tricotait, et la plus jeune, Wassilissa, avait pour tâche de filer. Le feu de la cuisine s’était éteint, et les trois