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Il semble que le gouvernement nouveau aurait dû se tenir pour heureux de conserver à son service un ministre de cette expérience. Il n’en fut rien. Sans doute, une place lui fut ménagée dans le Conseil de Régence ; cependant les affaires étrangères n’étaient plus expédiées par lui. Comme dédommagement, la grande maîtrise et surintendance des postes, qu’il exerçait déjà, était érigée pour lui en office distinct. Au bout de cinq ans, il donnait sa démission de cette charge secondaire. En 1723, le Conseil de Régence était dissous par la majorité du Roi. A quarante-quatre ans, Torcy n’était plus rien. C’est trop dire. Il demeurait associé honoraire de l’Académie des Sciences. Comme font à l’Académie Française quelques anciens ministres de nos jours, il chercha dans les séances et les travaux de l’Académie des Sciences une distraction et une occupation. Il y lut même quelques mémoires. Mais sa pensée se tournait de plus en plus habituellement vers les choses religieuses. « Il faisait sa lecture habituelle de la Bible, dit encore M. Masson ; il savait tous les psaumes par cœur et portait toujours sur lui les livres sapientiaux. » Torcy vécut ainsi jusqu’à l’âge de quatre-vingt-un ans où une attaque de paralysie l’emporta. Quelque temps avant sa mort, Clairambault, généalogiste des ordres du Roi, lui demanda l’énumération des services de sa famille pour les consigner dans ses registres. Torcy fournit l’état des services de son oncle et de son père. « Pour moi, ajouta-t-il, je ne m’en sais aucun. » L’histoire n’a pas ratifié ce jugement porté par Torcy sur lui-même. Aujourd’hui que son rôle est mieux connu, elle salue au contraire en lui un de ces bons serviteurs du Roi, de l’Etat, de la patrie, — peu importe le mot, la chose était alors la même, — qui autrefois se dévouaient à d’obscures, parfois même à d’ingrates besognes. qui n’en espéraient point de récompense, et qui, loin de chercher à se faire valoir, savaient au contraire se laisser attaquer injustement plutôt que de trahir le secret des négociations qui leur avaient été confiées, heureux pourvu que leur conscience leur rendît ce témoignage qu’ils avaient bien servi. Si nous avons employé le mot : autrefois, ce n’est pas qu’à notre sens la France ne compte encore aujourd’hui d’aussi utiles serviteurs, principalement peut-être dans la carrière diplomatique, mais le nombre n’en est pas si grand qu’il ne soit bon de les encourager, en rendant à leurs devanciers une tardive justice.

Tel était l’homme auquel Louis XIV devait, jusqu’à la fin de