Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Blacas envoie à « son cher duc d’Avaray. » Le sachant écrasé par la maladie et par la douloureuse séparation qui en est la suite, il l’entretient le moins qu’il peut de ce qui pourrait l’attrister, l’assombrir et cherche surtout à le distraire en multipliant les détails sur les faits et gestes des princes et des personnes de leur société.

Le Roi a eu un douloureux accès de goutte. — Monsieur et le Duc de Berry sont allés chasser chez lord Seveton. — Melchior de Polignac est venu faire signer par le Roi le contrat de son mariage avec Mlle le Vasseur de la Touche, nièce d’Edouard Dillon. Le père du marié est toujours en Russie. La goutte l’a mis dans un état affreux. La comtesse Diane est sourde à ne pas entendre un coup de canon. — Mmes de Narbonne et de Damas sont aux bains de mer. — Le duc de Grammont a eu la jaunisse à son retour des eaux. — Les Gazettes avaient annoncé la mort de l’émigré comte de Langeron, général au service de la Russie. La nouvelle était fausse. — Le duc de Queensberry qui vient de mourir a laissé quelque chose à toutes ses connaissances. Mlle de Dortans, petite-fille d’un Hamilton, a eu mille livres sterling, ce qui est peu. Mais on a tenu tant de propos sur les dames auxquelles il a laissé qu’elle est très aise de n’avoir pas eu davantage. — Le Roi a visité le château de Warwick et la ville de Manchester. Il est revenu enchanté de son voyage.

Et au milieu de ces détails qui relèvent de la chronique mondaine et ne sont intéressans que parce qu’ils nous initient à la vie des rares émigrés restés en Angleterre avec la famille royale, cette piquante observation qui nous révèle en Blacas le souci de l’étiquette : « L’archevêque de Reims doit me donner une lettre pour vous. A propos de lui, vous m’en avez adressé une que je lui ai remise sur l’adresse de laquelle était : à Monseigneur l’Archevêque, etc. Il aurait trouvé très naturel que vous lui eussiez écrit à Monsieur l’Archevêque. Dans le fait, si ce n’est pour vous, c’est pour vos pairs que vous vous devez de ne pas donner du Monseigneur aux évêques, ni dans les lettres, ni sur le couvert. Je tâcherai de me procurer un petit protocole du style employé par les ducs dans certaines occasions pour vous l’envoyer. Le Roi me remettra une lettre pour vous et j’en attends du duc d’Havre. »

Le 18 novembre, la correspondance prend subitement un ton plus grave. La lettre que Blacas écrit ce jour-là au duc d’Avaray