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correspondance de Blacas à cette époque. Les lettres qu’il écrit à de Maistre et aux rares agens royalistes répandus à l’étranger ne s’alimentent guère que de discussions purement platoniques sur les événemens, de réflexions plus ou moins judicieuses sur les hommes ou les choses.

Le 4 mars 1810, lorsque commence à se répandre la nouvelle du prochain mariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marier Louise, il écrit à son illustre ami : « On nous menace d’un mariage qui me fait frissonner. Une descendante de Saint-Louis ! Une petite-fille de Louis XIV ! Mon sang se glace… Personne ne lui rappellera-t-il que quand on proposa à l’infante Charlotte d’épouser César Borgia, duc de Valentinois, elle répondit :

« — Je ne veux pas épouser un sanguinaire, un assassin, infâme par sa naissance et plus infâme encore par ses forfaits[1]. »

Le 9 avril 1811, il engage de Maistre à travailler au l’établissement des liaisons qui n’auraient jamais dû cesser d’exister entre la Russie et l’Angleterre et l’invite à en parler au comte Romanzof. « La Russie n’a rien ici à rendre ou à demander. Il en est de même de l’Angleterre qui donnera à la Russie tous les subsides dont elle aura besoin pour une guerre qui sera la conséquence de la paix, si elle consent à renouveler un traité de commerce qui a subsisté vingt années à l’avantage des deux pays et l’on peut dire que ces vingt années ont été l’époque la plus florissante de la Russie. »

Un peu plus tard, à propos des malheurs de la Papauté, de Maistre, dans une lettre à Rlacas, a parlé avec irrévérence des quatre fameuses propositions gallicanes de 1682, « le plus misérable chiffon de toute l’histoire ecclésiastique. » — « Je cache votre lettre aux regards de Bossuet dont le portrait est dans ma chambre, lui répond Blacas. Mais, où avez-vous vu le repentir et le désaveu de Louis XIV ? » Et un débat s’engage qui donne lieu à de longues et intéressantes missives sans rapport avec les affaires politiques du Roi, que la force majeure relègue à l’arrière-plan.

Elles tiennent encore moins de place dans les lettres que

  1. A propos de ce « fatal mariage » de Maistre écrivait à Blacas : « Vous savez bien que le cuivre seul et l’étain seul ne peuvent faire ni canon, ni cloche, mais que les deux métaux réunis les font très bien. Qui sait si un sang auguste, mais blanc et affaibli mêlé à l’écume rouge d’un brigand ne pourrait pas former un souverain ? Voilà la pensée qui m’a souvent assailli depuis la déplorable victoire remportée sur la Souveraineté européenne par le terrible usurpateur. » 3 juillet 1811, Documens inédits.