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trouve, plus en mesure qu’homme au monde de conduire les affaires, de tout diriger et de ramener les esprits. Mais il faut qu’on le sache ; il faut que personne n’en doute, et ce doit être ma principale occupation, car c’est pervertir l’ordre des choses que de laisser attribuer les résolutions aux sujets et les déférences au souverain. C’est à la tête seule qu’il appartient de délibérer et de résoudre, et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans l’exécution des ordres qui leur sont donnés. Ce principe sera toujours le mien et plût à Dieu que, dans tous les temps, il eût été à l’ordre du jour. »

D’Avaray eût signé cette profession de foi, lui qui n’avait jamais admis que les résolutions du Roi pussent être discutées et s’était toujours appliqué à lui en attribuer l’honneur, bien que souvent il les lui eût suggérées. Son successeur ne ferait pas autrement et rien ne serait changé dans les principes apportés jusque-là à la conduite des affaires. C’était l’opinion générale parmi les émigrés. Ils n’en furent pas moins satisfaits d’apprendre que le Roi s’était choisi un nouveau collaborateur. Mais cette satisfaction tenait tout autant qu’au choix lui-même à la retraite de d’Avaray qui en était la cause. Joseph de Maistre, dans une lettre au chevalier de Rossi, ministre des Affaires étrangères en Sardaigne, nous donne l’explication de ce double sentiment : « D’Avaray est détesté de tout ce qui se mêle des affaires du Roi parce que jamais le Roi ne résistera à une idée de son ami et ne voudra supposer qu’il se trompe… Blacas est le seul qui le défende, secondé par la Duchesse d’Angoulême. » Il ajoute, ce qui fait honneur à Blacas non moins qu’à d’Avaray, « qu’ils sont peut-être les seuls qui aiment le Roi pour le Roi, sans ambition et sans limites. » Mais s’il les juge égaux par les sentimens, il attribue à Blacas la supériorité des talens. « Il est né homme d’Etat et ambassadeur. »

Les mérites auxquels Joseph de Maistre rend cet hommage n’empêcheront pas Blacas, à peine entré en fonctions, de susciter les mêmes jalousies que d’Avaray. Il est vrai que le Roi le défendra comme il a défendu son ami ; il lui dira « qu’il faut dédaigner les sots et continuer à conduire son fiacre. » Les encouragemens de son Roi, l’estime de Joseph de Maistre, son amitié, voilà plus qu’il n’en faut pour consoler Blacas de l’injustice et le venger de la calomnie.