Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous devez être bien accablé par les derniers événemens.

— Nous sommes depuis longtemps accoutumés aux revers, répondit Blacas. Nous avons gémi en silence sur des malheurs que nous avions prévus quand nous avons vu recommencer la guerre sans qu’il fût question du Roi. Mais, nous ne nous laissons pas abattre ; nous conservons nos espérances. Notre maître nous donne l’exemple du courage.

Il aurait pu envelopper dans le même éloge l’empereur Alexandre, qui lui aussi conservait l’espoir de vaincre. Cet espoir partagé par ses sujets les disposait à transformer en victoires immenses les combats douteux ou même les défaites de leurs armes. Il en fut ainsi de la bataille d’Eylau, à la suite de laquelle on alla jusqu’à raconter que plusieurs maréchaux de France avaient été tués ou blessés et « que le Corse n’avait dû son salut qu’à la vitesse de son cheval. »

De ce que le général de Benningsen, placé à la tête des troupes alliées, n’avait pas été écrasé, les Russes tiraient cette conclusion que l’armée de Napoléon serait mise en déroute au premier choc qui se produirait. En juin 1807, la bataille de Friedland vint infliger à ces espérances un éclatant et sanglant démenti. Elle livrait toute la Prusse à Napoléon et contraignait Alexandre à déposer les armes. C’était pour les patriotes russes une déception aussi cruelle qu’inattendue. Elle ne le fut pas moins pour les émigrés dont elle paralysait de nouveau les projets.

— Notre cause est perdue, avouait le duc de Richelieu.

A Mitau, à ce moment, Louis XVIII se préparait à partir pour la Suède. Gustave IV, en guerre avec la France, dans le dessein de reconquérir ses possessions d’Allemagne, avait dû à l’énergique résistance de ses sujets poméraniens, assiégés dans Stralsund, d’obtenir un armistice durant lequel il s’était mis en état de reprendre les hostilités. Maintenant, il voulait le rompre, recommencer à combattre, et il avait appelé le roi de France à sa cour à titre d’allié. Louis XVIII enthousiasmé par cet appel allait se mettre en route quand il apprit le résultat de la bataille de Friedland. Redoutant que le roi de Suède n’eût renoncé à ses plans, il suspendit son départ. Mais, pressé d’être fixé sur ce qu’il devait espérer ou craindre, il résolut d’envoyer un émissaire à Carlscrone, port suédois sur la Baltique, où Gustave IV lui avait donné rendez-vous. Le comte de Blacas mandé d’urgence à Mitau reçut de lui celle mission de confiance. En arrivant à Carlscrone il y