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la place, sans que le devoir l’eût appelé à cette périlleuse attaque. Il a abandonné quatre-vingt mille livres de rente, auxquelles il était appelé en France, pour s’attacher à mon malheureux sort. Sa santé est absolument détruite par l’effet d’une cruelle maladie, fruit de ses fatigues depuis quinze ans qu’il est mon compagnon d’infortunes, de travaux et d’exil. »

Sauf dans ses premières lignes où il est visible qu’en comparant d’Avaray à Sully, Louis XVIII a parlé surtout le langage d’une amitié qui ne sait pas se contenir, cette note ne dit que la vérité. Ce qui y est vrai notamment, c’est l’attestation qui s’y trouve de ce que coûtaient à d’Avaray les cruelles épreuves de l’exil, dont il avait toujours tenu à prendre sa part. Une santé compromise par les rapides progrès d’un mal ancien ; des crises fréquentes qui, depuis plusieurs années, durant l’hiver, le condamnaient à des séjours périodiques en Italie ; un lent affaiblissement de ses facultés physiques, qui ne laissait d’activité qu’à son esprit et à son cœur et le contraignait au repos, tel était le fruit de sa longue et laborieuse fidélité à la maison de France.

À plusieurs reprises, il s’était cru aux portes de la mort, et particulièrement en 1801, au moment où, à la suite du Roi, il venait d’arriver à Varsovie. Convaincu alors qu’il touchait à sa fin, ne voulant pas affliger son maître en lui laissant voir ses appréhensions, tenant cependant avant de quitter la vie à lui donner des conseils que lui suggérait son dévouement, c’est l’abbé Edgeworth qu’il en avait fait le dépositaire. Il savait quelle respectueuse admiration le Roi professait pour l’ancien confesseur de Louis XVI, devenu le sien, duquel il disait : « Sa vertu est de celles qu’on n’ose même louer dans la crainte de les ternir. » Ce saint prêtre, après avoir pieusement écouté le comte d’Avaray, s’était empressé d’écrire, pour n’en rien oublier, ce qu’il avait entendu et nous lui devons de connaître les pensées qui agitaient l’ami du Roi alors qu’il se préparait à mourir.

« Dans cette conversation qui a été assez longue, écrit l’abbé Edgeworth, M. le comte d’Avaray m’a paru beaucoup moins occupé de son état, quoiqu’il le regarde comme infiniment critique, que de l’isolement où sa mort jetterait le maître auquel il a consacré sa vie. Il m’a paru désirer extrêmement (si Dieu le retire de ce monde) que le Roi s’occupe sans délai de se former un conseil peu nombreux, mais bien choisi, pour délibérer sur toutes ses affaires. Mais, en me parlant de ce conseil, il m’a fait