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M. Briand est socialiste et il entend le rester, bien qu’il ait été officiellement exclu du parti au moment où il est entré au ministère. Les doctrines de M. Jaurès sont les siennes, et il a pu se sentir atteint par la réfutation qu’en a faite son collègue de l’Intérieur. C’est pourquoi il a tenu à marquer nettement sa place de bataille, et les socialistes, le lendemain, ont aussi bien accueilli son discours qu’ils s’étaient montrés blessés de celui de M. Clemenceau. Ils ont opposé ministre à ministre. Alors tout le monde a commencé à demander où était le gouvernement. Chacun de ses membres a un programme à lui et l’expose en toute indépendance, sans se demander s’il n’est pas en contradiction avec celui de ses collègues. On ne sait auquel entendre : c’est une véritable cacophonie, et, en vérité, de tous les ministres, M. Sarrien est celui qui semble le moins être le président du Conseil. On l’a vu à la Chambre pratiquer l’art d’accommoder les restes avec les morceaux disloqués du programme ministériel, et nul ne peut dire s’il a réussi dans cet exercice où sa modestie a doucement brillé. Ce ministère, qui a tant de têtes, manque de chef.

Mauvaise condition pour vivre bien et longtemps ! Mais, quant à présent, personne ne veut renverser le cabinet. Les progressistes se demandent par qui et par quoi il serait remplacé. Les radicaux ont fait fête à M. Clemenceau, et ne savent pas encore comment ils se débrouilleront. Les socialistes mettent une demi-confiance dans M. Briand, qui d’ailleurs s’applique à ne décourager personne. Dans son discours de Roanne, il a fait de l’évolution continuelle un principe. J’évolue, a-t-il dit ; évoluez, et tout ira pour le mieux ! C’est ce qu’on appelait autrefois faire de l’opportunisme : n’y aurait-il que les mots qui changent ? En attendant l’avenir encore trouble, la seule chose qui se dégage nettement de la discussion qui vient d’avoir lieu est que la Chambre n’est pas socialiste, et cela devrait nous rassurer. Mais les socialistes battus et les radicaux vainqueurs cherchent à se réconcilier et cela nous inquiète. Quant au gouvernement, il ressemble au char symbolique dont l’équilibre des forces contraires qui s’exercent sur lui assurent l’immobilité. Il ne peut en sortir sans subir de rudes secousses et sans être bientôt renversé.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.