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c’est à lui seul qu’on attribuait la destruction du colosse et d’autres monumens de Thèbes. Cette version est confirmée par des inscriptions dues à deux dames romaines, la mère et sa fille Cécilia Trébulla. Elles nous apprennent, en outre, que la croyance était alors fort accréditée, qu’avant d’avoir été brisée la statue de Memnon possédait une voix beaucoup plus mélodieuse.

Cécilia, qui paraît assez habile dans l’art de versifier en grec, nous raconte qu’elle et sa mère entendirent par trois fois la voix divine, mais que la première fois, ce ne fut qu’un faible son, tandis qu’à la deuxième, Memnon les ayant saluées comme connaissances et amies, elles furent émerveillées à la pensée que la nature, créatrice de toutes choses, pût donner à la pierre le sentiment et la voix. L’autre inscription est conçue en ces termes :

« Cambyse m’a brisée, moi cette pierre que voici, représentant l’image d’un roi de l’Orient. Jadis je possédais une voix plaintive qui déplorait les malheurs de Memnon et que, depuis longtemps, Cambyse m’a enlevée. Maintenant, mes plaintes ne sont plus que des sons inarticulés et dénués de sens, triste reste de ma fortune passée. »

Le fils de l’Aurore étant considéré comme une divinité à laquelle on attribuait toutes les vertus, il en recevait les hommages et on lui offrait des sacrifices, des libations pieuses. Chacun croyait qu’en pensant aux personnes qui nous sont chères, au moment où le dieu se faisait entendre, ce souvenir appelait sur les absens les faveurs célestes. C’est pour ce motif qu’Héliodore de Césarée se souvint de ses deux frères, Zenon et Aïanus, les quatre fois qu’il entendit la voix divine.

A une dévotion profonde, le chef de la Thébaïde, Catulus, joignait une patience rare. Etant venu pour entendre la voix du « très divin Memnon » et ne voulant pas en perdre une syllabe, il se rendit de nuit auprès du colosse pour être là dès les premiers rayons de l’aurore. Sa constance fut récompensée, car il entendit la voix miraculeuse, lui Catulus.

Les amiraux qui naviguaient sur les côtes d’Egypte, les préfets que leurs fonctions appelaient jusqu’à Thèbes ou Eléphantine, ne manquaient jamais d’aller présenter leurs religieux hommages à la pierre immortelle.

Le préfet de la flotte Q. Marcius Hermogène, chargé par l’empereur de croiser dans les eaux de Pharos, laissa son escadre dans le port d’Alexandrie et remonta le Nil pour admirer les