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nord est connue sous le nom de colosse de Memnon. Par suite de la propriété qu’elle possédait jadis de faire entendre un son, dès qu’apparaissaient les premiers rayons du soleil, cette statue acquit une grande célébrité. Depuis Néron jusqu’à Septime Sévère, c’est-à-dire pendant une période d’environ cent cinquante ans, elle vit accourir, de tous les points du monde romain, des milliers de voyageurs pour entendre sa voix mélodieuse, que l’on croyait d’origine divine. La restauration du colosse ayant mis fin à sa vibration, l’enthousiasme se calma peu à peu et un oubli de quatorze siècles succéda à la plus retentissante renommée.

Ce fut seulement à l’époque de la Renaissance, que la statue merveilleuse attira, à nouveau, l’attention des savans. Scaliger, Marsham, Van Dale et plusieurs autres en parlèrent dans leurs écrits ; mais, faute de documens et ignorant qu’elle existait encore sur les bords du Nil, ils se bornèrent à répéter les antiques récits. Périzonius imita ses devanciers et, sans tenir compte des listes de Manéthon, il considéra le nom d’Amenhotep comme un symbole et mit en doute l’existence de ce pharaon, parce qu’il n’était pas mentionné dans le catalogue des rois thébains, dressé par Ératosthène.

Pendant son voyage en Orient, Pococke releva le dessin des deux colosses dont l’un, celui du nord, a les jambes couvertes d’inscriptions. Leur déchiffrement démontra qu’elles se rapportaient à la fameuse statue sonore et confirma le témoignage des anciens voyageurs sur la réalité de la voix memnonienne, sans toutefois en expliquer la cause. D’autres inscriptions rapportées par Norden complétèrent les premières.

Mettant à profit ces nouveaux élémens, Jablonski[1]fit, sur le même sujet, un travail d’ensemble d’une grande érudition, mais dépourvu de critique et embrouillé par des étymologies plutôt fantaisistes. Après lui, d’autres érudits voulurent, à leur tour, expliquer ce qu’était exactement cette statue dans laquelle Bruce avait reconnu un nilomètre. Dupuis[2]la considérait comme une représentation du Jour, alors que Langlès en faisait l’emblème du soleil équinoxial. Certains y voyaient un symbole flottant entre le jour et la nuit ; un cycle annuel de cantiques quotidiens, l’harmonie retentissante des sphères, etc. Un

  1. De Memnone Graecorum et Ægyptiorum, Francfort, 1753.
  2. Dupuis, Origine de tous les cultes, t. I, p. 33.