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prince de Guéménée, et le duc de Montbazon, mais que le duc de Rohan lui-même. C’était la princesse de Soubise.

Anne de Rohan-Chabot, propre sœur du duc de Rohan, avait épousé, à l’âge de quinze ans, son cousin M. de Soubise, « le plus beau gendarme et un des hommes les mieux faits de son temps de corps et de visage, » dit Saint-Simon, mais qui avait le défaut d’être fort pauvre. Lorsqu’elle parut à la Cour, quelques années après son mariage, sa beauté y fit sensation. Elle avait les cheveux d’un, blond roux, avec les yeux un peu petits, mais une taille superbe et un teint éblouissant, bien qu’elle passât pour être de constitution assez malsaine, ce qui la faisait comparer par Mme de Montespan à « une belle pomme gâtée au dedans. » Mais peut-être faut-il voir dans ce propos de Mme de Montespan une vengeance de femme, car elle eut bientôt des griefs contre la nouvelle venue.

La beauté de Mme de Soubise avait produit en effet sur Louis XIV une vive impression au moment où, las du joug que faisait peser sur lui son impérieuse maîtresse, il commençait à se montrer quelque peu infidèle. La vertu de Mme de Soubise a donné lieu à beaucoup de discussions dont M. de Boislisle s’est fait l’écho dans une savante et intéressante notice qu’il a jointe au tome cinquième de son incomparable édition de Saint-Simon, et où il a pris la défense de la belle princesse. Il a eu fort à faire En effet, si les auteurs de certains mémoires et même de certains pamphlets, comme celui du Grand Alcandre frustré, prétendent que Louis XIV perdit ses peines auprès d’elle, d’autres pamphlets lui sont au contraire moins favorables. Certains prétendent que « ses yeux allaient tous les jours à la petite guerre, » ce qui, à la vérité, n’est pas démonstratif ; mais d’autres auteurs qui furent ses contemporains, tels que Mme de Caylus et Saint-Simon, vont plus loin et n’hésitent pas à en médire. Saint-Simon en particulier attribue à Louis XIV la paternité d’Armand-Gaston de Soubise qui, parmi les nombreux enfans de la princesse (elle avait en moyenne de son mari un enfant tous les deux ans), se distinguait par sa beauté et, disaient les malins, par sa ressemblance avec le Roi. Il est vrai que Mme de Caylus conteste cette attribution et croit que le Roi fut le père d’un autre enfant. Quoi qu’on en puisse penser, que ce soit par sa complaisance, comme le veut Saint-Simon, ou par sa résistance, comme le veut M. de Boislisle, il est certain qu’elle avait acquis un crédit prodigieux