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ces parages. Les Turcs se hâtèrent d’y envoyer un bataillon ; aussitôt le Foreign Office de protester et d’expédier dans le golfe une escadre chargée de faire une démonstration ; en même temps, par les soins du gouvernement de Bombay, Moubarek armait ses sujets et faisait mine de se préparer à la guerre. La Porte céda cette fois encore et reconnut Kazima et Failaka comme faisant partie des États de Moubarek. Depuis cette époque, sous l’inspiration des agens de l’Angleterre, Moubarek s’est réconcilié avec l’émir du Nedjed, et nous avons vu comment ils conduisent d’un commun accord la lutte contre les Turcs. Ainsi, presque trait pour trait, l’incident de Tabah reproduit celui de Koweit : la Turquie fait avancer des troupes, occupe le territoire contesté, puis, menacée par l’Angleterre, ne trouvant pas en Europe les appuis sur lesquels elle croyait pouvoir compter, elle cède. Mais, à Tabah comme à Koweit, ce sont, en dernière analyse, les intérêts allemands qui pâtissent, et c’est à l’Allemagne que l’opinion générale attribue l’échec. Ainsi les différends anglo-turcs prennent leur signification complète ; ils apparaissent comme les feintes ou les escarmouches par lesquelles deux escrimeurs habiles, avant d’en venir au corps à corps, se tâtent et se provoquent.


IV

La crise aiguë du conflit anglo-turc a duré moins de quinze jours, du 3 au 15 mai. Le gouvernement de Londres s’était, plus de deux mois durant, contenté de poursuivre un débat diplomatique : c’était le temps où la Conférence d’Algésiras absorbait l’attention de l’Europe. N’obtenant pas satisfaction, le Foreign Office se décida à agir ; le 3 mai, sir Nicolas O’Conor présenta à la Sublime Porte une note qui ne lui accordait qu’un délai de dix jours pour retirer ses troupes de la presqu’île du Sinaï. En même temps, la flotte de l’amiral lord Charles Beresford quittait Malte pour la rade de Phalère, tandis que le prince Louis de Battenberg, avec une division de croiseurs, apparaissait dans les eaux de l’Archipel et que l’escadre cuirassée de l’Atlantique ralliait Gibraltar. De Malte, de Crète, d’Angleterre même, des renforts partaient pour l’Egypte où l’on ne comptait guère plus de 5 000 soldats anglais ; la presse relatait en les amplifiant tous ces mouvemens de troupes. Du côté des Turcs, on disait qu’un