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Turquie. C’est ce que M. de Freycinet a, dans la conclusion de son beau livre, fortement exprimé : « La présence des troupes britanniques, écrit-il, n’est pas plus légitime à cette heure qu’elle ne l’était il y a vingt ans. La position « exceptionnelle et transitoire » de la Grande-Bretagne — pour employer les expressions de lord Salisbury — ne s’est, au point de vue du droit, aucunement modifiée. La convention du 8 avril 1904 n’y a rien changé. La France s’est interdit une initiative, et c’est tout. Mais l’Angleterre, pas plus aujourd’hui qu’hier, n’est ni souveraine de l’Egypte, ni protectrice, ni investie d’une délégation du Sultan. Les traités de 1856 et de 1878 sont toujours en vigueur. L’Europe peut évoquer la question et réclamer une solution conforme au droit[1]. »

Est-ce précisément cette question que le Sultan a voulu poser ? est-ce cette situation juridique qu’il a prétendu rappeler ? a-t-il voulu, par un acte, empêcher une sorte de prescription de s’établir et affirmer ses droits souverains ? Il est permis de le croire et il est certain que l’Angleterre l’a pensé : dans l’affaire de Tabah, elle a vu apparaître, menaçante, toute la question d’Egypte. Etonnée de l’initiative audacieuse d’Abdul-Hamid, elle a cru discerner derrière lui l’action d’une puissance européenne dont ! il passe pour suivre volontiers les inspirations ; la coïncidence de l’affaire de Tabah avec les incidens du Maroc et la conférence d’Algésiras lui a paru trop frappante pour être fortuite ; elle a cru qu’aux deux extrémités de la Méditerranée, l’Allemagne appliquait une même méthode et qu’après avoir voulu rendre manifeste, à Tanger et à Algésiras, que la convention franco-anglaise n’avait pas modifié la situation internationale du Maroc, elle cherchait à établir, en poussant les troupes turques à Tabah, que la même convention n’avait pas changé davantage la situation internationale de l’Egypte. On comprend dès lors pourquoi le Cabinet britannique s’est hâté d’interrompre la négociation au Caire pour l’évoquer à Londres et à Constantinople, et pourquoi, à propos d’une insignifiante localité de la côte d’Arabie, il a mobilisé des troupes, envoyé une puissante escadre dans les eaux de l’Archipel et lancé au Sultan, sous la forme d’une note ultimatum, une sommation d’avoir, dans un délai de dix jours, à évacuer Tabah et la péninsule du Sinaï.

  1. La question d’Egypte, par M. C. de Freycinet (Calmann-Lévy, 1905, in-8o), p. 439.