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L’occupation de Tabah par les troupes turques posait donc, au point de vue territorial, une question dont on aperçoit déjà l’intérêt et sur l’importance propre de laquelle nous devrons revenir, mais qui, semble-t-il, ne suffirait ni à provoquer la vigoureuse riposte de l’Angleterre, ni à justifier l’émoi des chancelleries européennes. Mais, à côté de la question de fait, l’occupation de Tabah et, plus encore, les raisons par lesquelles la Porte prétendait la justifier, posaient une question de droit singulièrement plus grave et dont les conséquences n’allaient à rien moins qu’à contester la situation de fait prise par l’Angleterre en Égypte. Plus que l’objet revendiqué c’est donc la forme de la revendication qui a ému l’opinion et le gouvernement britanniques. La Sublime Porte se réfère au firman d’investiture de 1892 et à la dépêche du grand vizir au Khédive qui semblent faire de l’occupation, par le khédivat, de certains points de la côte du Hedjaz et de la péninsule de Tor-Sinaï, une concession gracieuse, et par conséquent révocable, du Sultan à son délégué le Khédive : occuper Tabah c’était donc pour le Sultan faire tout simplement acte de souveraineté sur une terre dont il se considère en effet comme le souverain légitime, c’était rappeler au gouvernement égyptien que celui qui a le pouvoir de donner a aussi la faculté de reprendre : le Sultan avait confié au Khédive l’administration de la péninsule du Sinaï, il usait de son droit en la lui retirant. Si le Sultan est non seulement suzerain, mais souverain de l’Égypte comme des autres provinces de son empire, il ne saurait exister de contestations de frontière entre deux parties d’un même tout ; la volonté du souverain doit suffire à faire loi. Ainsi posée, la question de Tabah entraînait les plus graves conséquences : elle rouvrait la question d’Égypte en rappelant au Khédive sa situation juridique internationale, créée et consacrée par les traités, et, par suite, elle ravivait le débat sur l’occupation anglaise. Juridiquement, en effet, la présence des troupes et des fonctionnaires britanniques n’a pas modifié la situation du Khédive vis-à-vis du Sultan ; l’Égypte, même occupée par les Anglais, reste une province de l’empire ottoman gouvernée héréditairement par le Khédive et ses héritiers. Le fait, par la France, d’avoir, par la convention du 8 avril 1904, renoncé à prendre l’initiative de réclamer l’évacuation de l’Égypte par les Anglais n’a rien changé à sa situation internationale ni rien retranché aux droits des autres puissances ou à ceux de la