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regnandi causa violandum est. Si le droit doit être violé, c’est pour régner qu’il doit être violé[1]. » Tous deux étaient là-dessus du même sentiment que tous les tyrans et tous les condottieri, que Ridolfo da Camerino[2], que Jean des Bandes Noires, le fils si longtemps désiré, le fils prédestiné, le fils non-seulement de la chair, mais de l’esprit et du cœur, des Médicis et des Sforza. « Vas-y hardiment, disait quelqu’un à l’un des soldats de Jean d’Italie, qui s’en allait combattre ; vas-y sans crainte, tu as raison. » Et le capitaine, interrompant : « Ne te fie pas en cela, mais en ton cœur et en tes mains ; autrement, tu auras l’air d’une bête[3]. » Le droit, la raison, même chose et même mot, — la ragione, — dans la langue italienne de ce temps-là. Catherine Sforza en était convaincue, César Borgia en est plus convaincu encore ; il n’est personne alors qui n’en soit convaincu : c’est, de toute part et chez tous, l’amoralité, ou mieux l’amoralisme machiavélique. La question de droit se résolvant dans une question de règne, il n’y a plus qu’à résoudre la question de règne par une question de force. Machiavel, lorsque, du mois d’octobre 1502 au mois de janvier 1503, il séjournera près de César, n’aura pas de peine à reconnaître en lui son homme, l’homme de la force, l’homme du règne, le Prince, cette espèce d’homme faite pour surprendre, s’attacher, subjuguer, dominer les hommes, qu’on appellerait volontiers, à la mode de Lombroso, l’uomo politicante.


CHARLES BENOIST.

  1. Pasolini, ouv. cité, II, p. 312,
  2. Cf. Franco Sacchetti, Novella XL. « Il detto messer Ridolfo [da Camerino] a un suo népote, tornato da Bologna da apparare ragione, gli prova che ha perduto il tempo. » Édit. Ottavio Gigli ; 1888, Florence, Le Monnier, t. I, p. 103.
  3. Pasolini, ouv. cité, II, 35.