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leur race, nés de leur terre et de leur ciel, ils jouissent vivement de la beauté : tout ce qui est beau est bien, ou du moins rien n’est mal qui est beau. Art, plaisir, lutte, gouvernement, et même brigandage, — ribalderia, — l’Italien de la Renaissance ne demande rien à rien que la beauté. La férocité de Ferdinand de Naples, dans la conjuration des barons, est atroce, mais belle. Et voici venir la beauté des beautés, ce guet-apens de Sinigaglia que Mgr Paul Jove, évêque de Nocera, consacrera à jamais d’un superlatif, — il bellissimo inganno, — et où Machiavel découvrira un chef-d’œuvre de prince digne d’être offert en exemple au Prince.

Dans l’histoire de Melchiorre et de la rocca de Ravaldino, Catherine a recouru aux bons offices d’Innocente Codronchi ; nous allons la voir, aussitôt après, et à peine délivrée de sa grossesse, opérer elle-même, dans la répression de la conjuration des Roffi. Ce sont des paysans de Rubano, turbulens et influens, qui se sont emparés par surprise de la porte Cotogni à Forli, en faisant crier ou San Marco ! (Venise) ou Chiesa ! (le Pape) ou gli Ordelaffe ! (les seigneurs dépossédés, les Ordelaffi). Le coup a été manqué, cinq des rebelles ont été pendus sur l’heure, les autres sont aux chaînes dans la rocca. Madame arrive d’Imola, comme toujours à bride abattue. Elle fait comparaître les coupables, les interroge. Ils avouent, se dénoncent, se chargent l’un l’autre. « C’est Passi qui a tout monté, insinue Nino Roffi. — Tu mens par la gorge, s’écrie l’accusé, faux goinfre que tu es, et ribaud, car il y a près de huit mois que je ne t’ai parlé, et j’en veux faire la preuve à la corde avec toi[1] ! » Catherine saisit le joint, et envoie à la corde Nino tout seul, qui confesse son mensonge. Alors, ostensiblement, solennellement, tenant Passi par la main, la comtesse le conduit hors de la forteresse, et là, devant les gardes et devant le peuple, elle le libère : « Va, lui dit-elle, retourne tranquille et sûr vers ta femme et vers tes enfans ! » Le second procès achevé, elle affecte de prendre les ordres de son mari ; mais ce gros garçon, lymphatique, bouffi et mou, n’a d’autres ordres à lui donner que de s’en remettre à elle, et elle n’en demande pas davantage. Les droits menacés des Riari réclament du sang : Catherine semble croire que la justice divine y est intéressée, autant que sa propre politique :

  1. A qui subira le mieux l’épreuve de la question par quelques « traits » de corde.