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avait appris, et chaque jour davantage il apprenait, en démontant pièce à pièce le ressort des âmes et des esprits, à faire jouer la mécanique politique. Il ne lui fallait plus, pour que son génie emplît toute sa mesure, pour qu’il osât aller jusqu’au bout de lui-même, que rencontrer des âmes et des esprits un peu extraordinaires. Il fallait seulement que sa destinée, ou, comme il eût dit, « la Fortune, » l’adressât à Catherine et, bien plus encore, à César.


I

Dans le ménage des Riari, s’il y avait un homme, par la hardiesse, l’ampleur et la fermeté des desseins, par la tension de la volonté, par la continuité de l’ambition, par la suite énergique de l’action, c’était moins l’homme que la femme, Girolamo moins que Catherine. Des deux, l’être le plus viril, en qui résidait le plus de virtù, c’était cette virago presque vir, celle que l’on s’est toujours accordé à saluer donna di gran mente e di virili propositi[1]. Mais, en même temps que par le courage elle est la plus virile des femmes, elle en reste la plus féminine par la grâce et par la beauté. Si plus tard les médailles, qui exigent un relief plus ferme et des lignes sculpturales, lui prêtent un profil romain, elle a, vers la dix-huitième année, sur le tableau du musée de Forli, attribué à Marco Palmeggiani, les traits comme enveloppés d’une douceur angélique, quasi divine, et que dément à peine la fixité du regard plongeant droit. Un visage raphaélite avant Raphaël ; mais une âme machiavélique avant Machiavel, ou du moins avant la notation par Machiavel des formules machiavéliques. C’est à ce moment même, vers sa dix-huitième année, que les historiens de Catherine découvrent en elle « la première pointe de sa pénétration politique, » la première marque « de son caractère fort. » Elle sait que Laurent de Médicis en veut mortellement à son mari, et qu’il a de bonnes raisons de lui en vouloir. Elle, sans doute, elle aime Girolamo, il ne faut pas dire, en parlant d’elle, de toutes ses forces, mais de toute la force de sa seule faiblesse, la faiblesse de sa chair, d’où

  1. Le legazioni e commissarie di Niccoló Machiavelli, riscontrate sugli originali ed accresciute di nuovi documenti per cura di L. Passerini e G. Milanesi. Legazione II. A Caterina Sforza Kiario reggente la signoria di Forli per il figliuolo. — Notice des éditeurs ; volume I, p. 5.