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son territoire[1] ! » Le 13 fructidor (30 août), sur la proposition de Bourdon de l’Oise et de Tallien, malgré l’intervention de Lanjuinais, la Convention décrète la suspension des radiations provisoires. Mais rien ne décourage Mme de Staël. Elle a « monté la tête de Chénier[2], » qui présidait, il y a peu de jours, la Convention ; elle veut le rappel de Talleyrand et elle l’aura. On commence par discuter le cas du général Montesquiou. Mais l’affaire de Montesquieu ne sert qu’à masquer celle de Talleyrand, à préparer l’opinion : si Montesquiou échoue, Tallyrand attendra ; sinon, il passera par la brèche. Le 17 fructidor, après un débat orageux, Montesquiou est autorisé à rentrer en France. Le 18, Chénier fait son rapport sur la pétition de Talleyrand, prouve, ce qui est vrai, qu’il n’a point émigré, qu’il est sorti de France avec une mission du gouvernement et des papiers en règle. « Je réclame, s’écrie-t-il, Talleyrand-Périgord au nom de ses vertus et de son patriotisme, au nom de votre haine pour les émigrés, dont il serait la victime comme tous les autres républicains !… Républicain par âme et par principes, ce fut au sein d’une république qu’il porta ses pas ; c’est dans la patrie de Franklin qu’il a attendu que la France eût des juges et non des bourreaux[3] ! » En vain Legendre demande l’ajournement ; Boissy d’Anglas s’écrie : « On n’ajourne pas la justice ! » Le rappel est voté au milieu des applaudissemens de l’assemblée.

Mme de Staël triomphait. Elle avait, au péril de sa sécurité, de son repos, préparé le retour de l’ami qui lui était cher ; elle devait, deux ans plus tard, lui ouvrir le chemin d’une haute fortune, sans penser un instant qu’il pût jamais reconnaître tant de bienfaits par un complet oubli et la plus noire ingratitude.

Satisfaite alors, elle quitte Paris dans les premiers jours de septembre ; elle se retire à la campagne, à Saint-Gratien, chez Mathieu de Montmorency, avec Benjamin Constant[4]. C’est le moment où

  1. Courrier français, 6 fructidor (23 août).
  2. B. Constant, Mémoires, dans Coulmann.
  3. Courrier français (19 fructidor — 5 septembre).
  4. Necker à Meister, 27 sept. 1795 : « Ma fille est en campagne à trois lieues de Paris ; elle a cru devoir se tenir à l’écart pendant le moment des élections et des assemblées primaires. » — Cf. Lettre de B. Constant du 30 fructidor (16 sept.) (recueil Menos), où il dit qu’il est à Ormesson, près de Saint-Gratien, chez Sterheim, pseudonyme de Mathieu.