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serait suivi « de plusieurs de ses compagnons d’exil[1]. » La brochure de Rœderer Des fugitifs français et des émigrés venait de paraître, suivie de près par celle de l’Espagnol Marchena intitulée Quelques réflexions sur les fugitifs français depuis le 2 septembre ; Marchena demandait, comme Mme de Staël, qu’on fit des constitutionnels les « pierres angulaires de l’édifice républicain[2]. »

Cependant Paris était rempli d’intrigans, étrangers suspects, émissaires royalistes, agens des princes et de l’Angleterre ; tout ce monde conspirait, tenait des assemblées secrètes jusque a chez les ministres des puissances étrangères[3] ; » diplomates, académiciens, femmes du monde, « vieux feuillans » tripotaient la radiation des émigrés[4]. On n’osait encore attaquer de face la Convention ; mais on ourdissait, on resserrait autour d’elle un vaste filet d’intrigues. Il était bien évident, pour tout observateur sensé, qu’on allait « de biais » au royalisme ; on n’attendait, pour se déclarer, que le moment favorable.

La Convention, ainsi menacée, songe à se défendre. Déjà Louvet, à une réunion chez Formalaguez, parlait de réarmer les terroristes[5]. Le 23 messidor (11 juillet), la Convention adopte un décret, qui expulse de France les étrangers nés dans un pays avec lequel la République est en guerre. Le 3 thermidor, survient l’affaire de Quiberon, la défaite des émigrés ; le 9 thermidor, le rapport de Tallien à la Convention : le Comité de salut public ordonne d’appliquer les lois ; les émigrés pris les armes à la main sont fusillés. Le 1er fructidor (18 août), sur la proposition de son Comité de Sûreté générale, la Convention décrète que tout individu prévenu d’émigration devra sortir de Paris, se retirer dans sa commune et y rester sous la surveillance de la municipalité. Ce même jour, à la même séance, a lieu un grand éclat : Mme de Staël est dénoncée publiquement à la tribune de la Convention.

C’est le député Legendre, homme sans éducation, mais

  1. Lettre inédite de Mathieu à Mme Necker de Saussure, du 5 août 1795, annonçant son prochain départ. — Sa présence à Paris est signalée par le Courrier français du 6 fructidor (23 août).
  2. Page 40.
  3. Discours de Bourdon de l’Oise (séance du 13 fructidor).
  4. Journal des Hommes libres (27 messidor, 5 fructidor).
  5. Thibeaudeau, Mémoires, I, 200.