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Constant n’eût plus qu’une idée : réparer sa maladresse à tout prix. Mme de Staël, mieux éclairée, ne fut pas la dernière à l’y engager. La Convention, malgré les clameurs de ses adversaires, avait décidé que les deux tiers de ses membres actuels seraient maintenus dans le nouveau corps législatif. Il s’agissait de savoir comment se ferait cette réduction : serait-ce par la voie du sort, par les démissions volontaires, par le choix du corps électoral ou par l’assemblée elle-même ? Louvet penchait pour ce dernier moyen, qui, d’ailleurs, ne fut pas adopté. Il proposait Constant de lui faire son discours. Celui-ci, qui n’attendait qu’une occasion de rentrer en grâce, accepta avec empressement : « Nous nous mîmes à l’ouvrage, dit-il, et nous passâmes deux jours et deux nuits à me réfuter ! » Le 3 et le 4 fructidor, Louvet prononça son discours qui, sauf une phrase malencontreuse, fut assez applaudi, et Benjamin, du fond d’une tribune, put savourer son éloquence[1].

On ne s’étonnera guère de cette prompte volte-face : elle prépare, elle annonce celle des Cent jours, qui est beaucoup plus célèbre ; mais celle-ci est en germe dans l’autre. Il y avait dans Constant, — qui donc le nierait ? — un ambitieux dépourvu de scrupules, aiguillonné à la fois par la femme qu’il aimait, par le spectacle d’une grande Révolution, la perspective d’une carrière ouverte à sa merveilleuse intelligence. Mais c’était aussi un esprit d’une mobilité extrême, d’une rare inconstance, dont il lui arrivait de plaisanter lui-même : Sola inconstant in constans ! Il aimait sincèrement la république, il l’aimait à cette époque avec naïveté, avec candeur. Il était sincère en écrivant ses trois lettres, en s’indignant d’un privilège exorbitant, que pouvait justifier la raison politique,

  1. Constant, dans le fragment de Mémoires cité par Coulmann, t. III a conté de façon plaisante sa palinodie pour en sauver le caractère scabreux. Il en a accentué le cynisme. Il semble, selon lui, qu’elle ait eu lieu quelques jours après les fameuses lettres. Voici la vérité sur ce point : 1o entre les lettres de Constant et le discours prononcé par Louvet (séances des 3 et 4 fructidor), il s’écoule un intervalle de deux mois ; 2o il ne s’agit pas, à proprement parler dans ce discours de la question du maintien des deux tiers des conventionnels dans la prochaine assemblée, mais, ce point étant acquis, de savoir comment on procéderait pour désigner les députés qui resteraient ; 3o le discours de Louvet ne fut point accueilli par des huées, comme le prétend Constant, mais ce fut une simple phrase, dans la séance du 4 fructidor, qui excita des murmures.