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servir à l’histoire de la tyrannie de Robespierre, applaudi, fêté dans les salons thermidoriens ; enfin Benjamin Constant, « de tous les muscadins le plus élégant[1], » au plus fort de sa passion pour Mme de Staël, ne quittant pas ce salon où défile sous ses yeux tout Paris, ce Paris qu’il rêve de conquérir.

Que résultait-il du mélange de tant d’élémens divers ? Beaucoup de défiance, peu de concorde. Chacun sortait de ces discussions mécontent, irrité, mais non pas convaincu, et les républicains sentaient redoubler leurs préventions contre cette femme qui avait des liaisons dans tous les partis, et une influence extraordinaire « dans les conseils, dans les bureaux, à la tribune même[2]. »

L’époque approchait, où la Convention allait se séparer ; on discutait alors le projet de constitution présenté par la commission des Onze. Un point préoccupait tous les esprits : la Convention allait-elle se survivre à elle-même, en faisant passer une partie de ses membres dans les nouveaux conseils ? Les royalistes étaient très acharnés contre une mesure, qui leur enlevait l’espoir d’avoir la majorité dans la prochaine assemblée et de renverser la république ; les conventionnels, au contraire, en étaient partisans, par souci de leur propre sécurité, par désir de conserver leur place, et dans la pensée très naturelle de maintenir les institutions qu’ils avaient fondées au prix de tant d’efforts, de crimes mêmes. Le 3 messidor (21 juin), Boissy d’Anglas déclarait à la tribune, au nom de la commission des Onze, que la Convention ne devait être renouvelée que par moitié, et l’assemblée paraissait disposée à aller plus loin encore que sa commission[3]. L’émoi fut vif dans le camp adverse. Mme de Staël, bien qu’elle se crût sincèrement républicaine et qu’elle tirât « bon parti des conventionnels pour la rentrée de ses amis[4], » manifestait « la plus vive indignation » à

  1. Ph. Godet, Mme de Charrière. Lettre de l’émigré Camille de Roussillon, du 11 messidor : « Il ne dit rien. On ne le prend pas cependant pour un sol. »
  2. Bailleul (ancien député de la Convention), Examen critique des Considérations de Mme de Staël, II, 397 et suivantes.
  3. On sait que la Convention, par les décrets des 5 et 13 fructidor, adjoints à la Constitution, décida que les assemblées électorales ne pourraient prendre moins des deux tiers des membres de la Convention pour former le corps législatif.
  4. Benjamin Constant, Mémoires dans Coulmann, ouvr. cité. — Cf. Considérations sur la Révolution française, 3e partie, ch. XX.