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même soir à Yverdun, où elle a logé à l’auberge jusqu’au 28, elle a pris par Orbe la route de Paris. Je sais que le 16 au soir (sans doute le 16 mai), elle avait auprès d’elle Narbonne, Mathieu Montmorency et Jancourt ; Mme de la Châtre était aussi venue pour cette conférence. — Mme de Staël, à son départ pour la France, a eu encore à Yverdun un rendez-vous avec plusieurs émigrés, tels que Narbonne et autres. On assure que peu à peu tous les émigrés de cette classe, dispersés dans plusieurs pays, se réuniront au système d’un roi constitutionnel. »

Quel était l’auteur de cette note perfide ? Évidemment, ce n’était pas Suard, le propriétaire et le principal rédacteur des Nouvelles politiques : il avait fréquenté jadis le salon de Mme Necker, il était tout dévoué à M. Necker et à sa fille ; on connaissait ses opinions royalistes et, certes, il eût été le dernier à dénoncer dans son journal les entrevues de Mme de Staël avec ceux qu’on nommait les Constitutionnels. D’ailleurs les mots Article communiqué, qu’on lisait au bas de cette note, ne laissaient aucun doute sur sa véritable origine : cette lettre, écrite « des frontières de la Suisse, le 30 floréal, » était adressée par Barthélémy au Comité de salut public, et c’était le Comité qui, en guise d’avertissement, avait envoyé l’extrait au journal[1]. Mme de Staël était prévenue : on connaissait ses intrigues, on saurait les déjouer.

Le 15 prairial (3 juin), Mme de Staël riposte par une lettre « aux rédacteurs des Nouvelles politiques. » Sa défense est habile, éloquente. Elle ne nie pas ses relations avec les émigrés (comment les eût-elle niées ? ) ; mais elle n’a jamais tenu avec eux de « conférences politiques, » et, si elle est revenue en France, c’est tout simplement pour reprendre sa place auprès de M. de Staël[2]. Passant rapidement sur ces préliminaires, elle arrivait au véritable objet de sa lettre, c’est-à-dire à sa profession de foi politique ! « Je déclare, écrivait-elle, que je ne partage point le préjugé qui ferait tenir à telle forme de constitution par des considérations étrangères au bonheur et à la volonté de la nation qui l’adopte ; que je souhaite

  1. Voir la réponse de Mme de Staël dans les Nouvelles politiques du 15 prairial (3 juin) : « Je vous remercie, messieurs, d’avoir ajouté le mot Article communiqué à l’astucieuse inculpation que l’on vous a demandé d’insérer dans votre journal… »
  2. Notons, en passant, qu’elle se donne vingt-six ans dans sa lettre. Elle en avait, en réalité, vingt-neuf, étant née en 1766, le 22 avril.