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voisines de la frontière ; nos établissemens ne craignaient pas de représailles avant la fonte des neiges : moins habitués à des froids rigoureux, plus lourds, plus exigeans pour leur nourriture, moins habiles aussi à manier les indigènes, les colons anglais, pas plus que les troupes en garnison parmi eux, n’avaient coutume de s’aventurer en des équipées de ce genre ; les pratiques de cette petite guerre déconcertaient même les officiers français, nouvellement débarqués au Canada ; nous en avons, par les papiers mêmes de Montcalm, des preuves nombreuses.

Miliciens robustes, courageux, excellens pour de courtes démonstrations de guerre, intercalées entre leurs occupations rurales, les Canadiens n’étaient pas faits pour se plier à la vie de garnison, à la discipline des troupes européennes. Si la métropole l’avait alors compris, elle ne les eût pas exposés à porter, aussi lourd que les soldats eux-mêmes, le poids des charges militaires ; elle eût compris qu’ils avaient à s’inquiéter, aussi, de leurs familles et de leurs moissons, donc qu’il était nécessaire de pourvoir à la défense du pays sans compter sur eux que comme appoint d’exception aux troupes régulières ; or celles-ci n’étaient pas en nombre suffisant. Si l’on ajoute le dédain trop fréquemment témoigné par les officiers de carrière à leurs camarades des milices, on comprendra que par toutes ces causes, des rivalités, des malentendus aient souvent divisé les défenseurs français du Canada. N’avons-nous pas vu, après la guerre du Transvaal, les soldats du contingent canadien se plaindre en termes parfois très vifs des officiers anglais que l’on avait mis à leur tête et qui prétendaient les commander comme des recrues du Royaume-Uni ?

Dans les dernières années du Canada français, le gouverneur général Vaudreuil représentait l’élément canadien, Montcalm l’élément français ; l’accord entre les deux chefs en fut souvent troublé. Vaudreuil était né en 1704, à Montréal, où son père était alors gouverneur général ; lui-même avait gouverné la Louisiane, de 1743 à 1755, avant d’être nommé au Canada ; c’était un colonial, fait par toutes ses habitudes, par tous ses intérêts à des idées et à des façons d’agir que l’éducation toute différente de Montcalm ne pouvait admettre sans surprise. Montcalm était issu d’une famille militaire ; dès l’Age de quinze ans, il avait commencé son apprentissage des guerres européennes ; il avait servi avec distinction en Bohème, en Italie, avait obtenu à vingt-neuf ans la croix de chevalier de