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d’Angleterre (juin 1741) ; dans l’armée des assaillans figuraient de nombreux marchands de la Nouvelle-Angleterre, miliciens improvisés, qu’affolait la piraterie ou du moins la contrebande dont Louisbourg était le refuge ; leur succès fut célébré avec enthousiasme en Amérique, tandis qu’on semble avoir peu goûté, en Angleterre, une victoire dans laquelle les coloniaux revendiquaient la meilleure part. Les colons et soldats de l’Ile Royale furent transportés à Brest mais, lorsque fut signée la paix d’Aix-la-Chapelle, cette colonie nous fut rendue, à la furieuse indignation des gens de New-York et de Boston ; deux ans après, en 1750, la population française y était revenue et montait à près de 6 000 habitans. La concession de l’Angleterre s’explique par le fait qu’elle jugeait la menace de Louisbourg utile, pour réfréner les ambitions déjà très apparentes de ses sujets américains. Mais le gouvernement français ne sut pas tirer parti de cette rivalité naissante.

A peine la paix d’Aix-la-Chapelle fut-elle observée en Amérique ; des partis de sauvages, alliés des Canadiens ou des Bostonnais, tinrent la campagne tous les ans, pillant les fermes écartées, étendant un véritable désert entre les centres des deux colonies. Cependant La Galissonnière, qui n’avait cessé d’exercer les milices et de tenir en haleine nos auxiliaires indiens, est rappelé en 1748 ; son successeur, Jonquières, est un incapable, qui meurt après un court gouvernement, et l’autorité réelle tombe aux mains de l’intendant Bigot, homme certainement laborieux et intelligent, mais dont le souci fut de faire sa fortune au lieu de ne penser qu’aux intérêts publics. Dès 1751, des escarmouches ensanglantent la vallée de l’Ohio ; une troupe américaine attaque par surprise un officier français, Jumonville, et, dans les rangs de nos adversaires, figure ce jour-là le futur frère d’armes de Lafayette, Georges Washington. Les Anglais dispersent les Acadiens, demeurés Français de cœur malgré le traité d’Utrecht. Après d’inutiles pourparlers avec Londres, le ministère de Louis XV se décide enfin à envoyer au Canada un nouveau gouverneur général, Vaudreuil, avec un renfort de 3 000 hommes.

La guerre ne fut officiellement déclarée, entre la France et l’Angleterre, qu’au printemps de 1756 ; mais, dès l’année précédente, les hostilités entre les colonies voisines ne s’étaient plus bornées à de simples randonnées : les Français avaient remporté un avantage décisif sur l’Ohio, tandis que, plus près du Canada proprement dit, sur le lac Champlain, les Bostonnais de Johnson leur