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criant. Les terroristes reconnaissaient eux-mêmes la barbarie de cette forme du combat politique. Ils protestèrent contre l’assassinat du président Garfield (1881) : dans les pays, disaient-ils, où la lutte des opinions est libre, l’assassinat politique est un acte inspiré par le même esprit de despotisme qu’ils visaient à détruire en Russie. Ce despotisme, les libéraux sont sans énergie pour le briser, pour obtenir des garanties de droits personnels qui rendent possible le combat des idées : l’œuvre s’impose aux terroristes. Bien loin d’être des anarchistes, les terroristes se proclamaient étatistes. Ils voulaient transformer l’État absolutiste en État représentatif, et prétendaient agir envers Alexandre II comme Cromwell, envers Charles Ier, Robespierre, envers Louis XVI. Une fois maître du pouvoir, le comité terroriste nommerait, par décret révolutionnaire d’en-haut, un gouvernement provisoire, lequel convoquerait une convention élue par le suffrage universel, et composée, selon toute vraisemblance, de 90 % de paysans. Cette assemblée déposséderait de leurs terres les nobles, les couvens, la couronne, et les remettrait au peuple. La propriété commune ne serait pas changée, mais étendue à la totalité du sol.

Nous avons retrouvé dans l’anarchisme de Bakounine les idées de Proudhon ; Tkatchef n’a fait que préconiser les théories et la pratique de Blanqui, les conjurations et les coups de main en vue de cette dictature jacobine qu’abhorrait Proudhon, comme une des pires formes du despotisme.

L’originalité des terroristes, c’est d’avoir établi pour la première fois la nécessité du combat direct contre le gouvernement, en partant de cette conviction que la révolution politique doit précéder nécessairement la révolution sociale. En cela ils s’éloignent encore des bakouninistes et se rapprochent des marxistes. Ce qui les distingue de ces derniers, c’est qu’ils ne comprennent pas que le combat politique doit être un combat de classes et non d’individus, fussent-ils à la fois des génies et des héros.

Les terroristes adaptèrent au but qu’ils poursuivaient leur organisation et leur tactique. Ils centralisent le parti et le gouvernent au moyen d’un comité exécutif, composé d’une centaine de membres triés sur le volet, et dont le recrutement exige une prudence, une prévoyance, des précautions infinies contre les espions et les traîtres. Outre l’organisation de combat, qui a mission de désorganiser le gouvernement par des attentats, on cherche des