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subterfuge de Pougatchef : c’est ainsi que Jacob Stepanovitch, dans le gouvernement de Kief, cherchait à ameuter les paysans en leur persuadant qu’il agissait en vertu d’un oukase du Tsar. Ce genre de mystification, d’ailleurs sans résultats, fut généralement écarté ; on devait se borner à nourrir les espérances des paysans pour la libre et commune possession du sol. Afin de faciliter cette propagande, des colonies sédentaires se substituèrent aux missions errantes. De petits groupes s’établirent dans les villages ; les uns ouvraient des boutiques d’épicerie, d’autres se livraient au maquignonnage ou exerçaient la médecine, les femmes se faisaient journalières ou accoucheuses : les intellectuels, habitués aux travaux de l’esprit, renonçaient à leur talent, peinaient quinze heures par jour dans les ateliers ou dans les champs ; des juges, des instituteurs étaient gagnés à la cause du peuple.

Les premières entreprises avaient manqué, à un degré rare, d’entente combinée, de précautions élémentaires. L’organisation secrète était essentielle pour les Narodniki. Les groupes urbains servirent de centre de correspondance aux colonies villageoises et devinrent bientôt les plus importans. A la ville, il était bien plus aisé d’échapper à la police ; les villes servaient de refuge ; dans les villes se fixaient les comités administratifs, chargés de recueillir des subsides, de fabriquer de faux passeports, de recruter de nouveaux adeptes, au milieu des étudians, des ouvriers mêmes, plus révolutionnaires d’instinct que le paysan isolé et apathique. En sorte que l’action urbaine, secondaire au début, finit par rejeter à l’arrière-plan l’action agraire. En négligeant la pratique rurale, malgré leurs vues théoriques sur l’unique importance de l’Obchtchina, les populistes affaiblissaient le dogme : la réalité faisait brèche dans la citadelle de l’anarchisme.


VI. — LES TERRORISTES

Les populistes, au début, ne s’occupaient pas de politique, mais la politique s’occupait d’eux. La police abattait sa lourde main sur leurs épaules. Plus de deux mille arrestations avaient été opérées de 1873 à 1876. A la fin de 1876, le plus grand nombre se trouvaient sous les verrous. L’année suivante, cinquante furent jugés à