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guerre civile. Tessara répondit qu’en ce cas la guerre civile n’était pas à redouter, attendu que le Duc ne comptait pas de parti sérieux dans la péninsule, et que très certainement, le peuple espagnol, consulté, lui préférerait la République.


XI

A défaut de tout autre appui, les partisans de Montpensier eussent voulu lui acquérir celui de Bismarck. Goltz vint un jour, au nom même de son chef, avertir l’Impératrice que Rancès, ambassadeur d’Espagne à Berlin, de passage en mars 1869, avait, sous prétexte de saluer le Roi, pressenti en effet le chancelier. Cette démarche de Bismarck s’explique naturellement par le témoignage qu’un de ses agens nous a laissé de ses sentimens intimes. Bismarck se croyait mal informé de ce qui se passait en Espagne par son ministre Kanitz. Ce n’était pas un évaporé comme Usedom, mais c’était aussi un passionné. Usedom pactisait avec la révolution italienne même sous sa forme la plus avancée ; Kanitz, au contraire, était l’ennemi de la révolution espagnole, même sous sa forme la plus modérée, et ne cachait pas ses prédilections pour Isabelle, pour son fils et, à leur défaut, pour don Carlos. Avec un tel homme il était difficile de nouer des intrigues souterraines. Il fallait un instrument plus souple et surtout moins en vue. Bernhardi, inutile à Florence depuis que Usedom avait été remplacé, fut appelé à Berlin, et le Chancelier lui expliqua le but que poursuivait en Espagne le gouvernement prussien. Bernhardi l’explique lui-même en ces termes : « On sait que le parti cosmopolite fera tout pour amener en Espagne la proclamation de la république. Mais notre gouvernement ne voit rien qui soit à craindre dans l’établissement de la république en Espagne et il la laisserait s’implanter sans obstacles. En réalité tout ce qui peut rendre l’Espagne indépendante de l’influence française est bon et agréable au gouvernement prussien, quelle que soit d’ailleurs la forme. Que l’Espagne reste indépendante de l’influence française, c’est l’unique but que nous ayons en vue. » Bernhardi avait recueilli aussi de la bouche de Moltke cette indication de la politique gouvernementale. « L’Espagne paralyse Napoléon, dit-il, elle agit comme un