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persuadée encore qu’il était l’instigateur des troubles d’Espagne[1]. Cette croyance, vraie ou fausse, devait être un avertissement à Bismarck, si véritablement il ne cherchait pas à nous pousser à la guerre, de s’interdire toute immixtion dans des affaires où l’Allemagne n’avait pas un intérêt direct, et d’imiter l’exemple de sagesse et de réserve que lui donnait Napoléon III.

Le roi Guillaume semblait être dans ces dispositions. Un envoyé italien, Barbolani, s’étant rendu à Berlin, sous prétexte de consulter la Prusse sur la possibilité d’une Union Ibérique, en réalité pour sonder la cour amie sur la candidature d’un prince italien : Guillaume déclina l’ouverture, disant qu’il n’interviendrait pas dans les affaires espagnoles, sinon avec les autres puissances[2]. Bismarck, du moins dans son langage officiel, s’exprimait de même. Il s’était rendu à Varziu pour soigner un commencement de pleurésie pris à la suite d’une revue militaire, et le Reichstag de la Confédération s’était clos en son absence (20 juin). Une chute de cheval le tint encore quelque temps éloigné des affaires. Mais, en septembre, il les reprit, conféra longuement avec Clarendon venu à Berlin pour s’informer et le chargea d’assurer Napoléon III de ses bonnes dispositions en affirmant qu’il n’avait été pour rien dans la révolution d’Espagne. Clarendon eut avec l’Empereur, à son retour à Paris, les conversations confidentielles qu’on a avec un ami, et lui transmit les assurances de Bismarck. Mais l’Empereur n’accueillait plus qu’avec défiance ce qui venait de Berlin ; et sans s’arrêter à ce qui avait trait à l’Espagne, il répondit aux propos pacifiques que lui envoyait Bismarck, qu’il « conserverait la paix si la Prusse respectait la situation actuelle : au cas où le Sud entrerait dans la Confédération du Nord, les canons français partiraient tout seuls. » L’homme d’État anglais rendit compte à la Reine de cette conversation, et la Reine, selon son habitude de considérer les intérêts de l’Allemagne comme siens, communiqua son rapport au roi de Prusse, qui naturellement en instruisit aussitôt Bismarck : « Je vous envoie, ci-joint, une lettre de Clarendon à la Reine, relative à son entretien avec Napoléon. Il lui a très exactement communiqué mes vues, et il a appris, en échange, que le passage de la ligue du Mein entraînerait la rupture

  1. Sybel le constate, t. VI, p. 348.
  2. De Lefebvre de Béhaine, 8 octobre 1868.